Bruxelles (B) – Les Fêtes de Bruxelles
L’Illustration – n° 293 –7 octobre 1848
(Collection D. De Coune/Terre de Géants)
Lettre d’un Flâneur
XII
Les Fêtes de Bruxelles
J’ai cru pendant longtemps, Monsieur le Directeur, à la perfectibilité progressive – je n’ose pas dire indéfinie – de l’espèce humaine ; mais avoir tout ce qui se passe autour lie nous, je serais fort tenté de retirer à ce dogme la confiance que je lui avais accordée. Au lieu d’avancer, comme je me plaisais à l’espérer, l’espèce humaine recule, et, au train dont elle marche, elle ne tardera pas à revenir au point d’où elle est partie il y a je ne sais combien d’années, c’est-à-dire à la barbarie. Ce qui m’effraie surtout pour elle, c’est qu’elle n’a pas l’air de s’en douter. Par moments – ceci entre nous – je la crois un peu folle. On l’a louée outre mesure ; la vanité lui a tourné la tête. Elle devient si fière de ses progrès passés, qu’elle ne voudra plus désormais se donner la peine de travailler sérieusement à son perfectionnement futur ; les sacrifices, les efforts, la résignation, la patience, le temps qu’il lui a fallu pour atteindre à son développement actuel, elle les oublie, s’imaginant pouvoir accomplir sans peine en quelques jours l’œuvre de plus d’un siècle. Encore si elle suivait le droit chemin, je l’y laisserais volontiers courir un peu trop vite, parce qu’après tout , ses chutes si douloureuse qu’elles fussent, n’auraient d’autre résultat que de retarder plus ou moins son arrivée au but où elle va ; mais non, sourde à lavoix de la raison, dédaignant les leçons de l’expérience, elle s’égare chaque jour davantage, à droite ou à gauche, sur les pas de charlatans ou de fous qui lui font faire les sauts les plus périlleux au bord des précipices les plus épouvantables. Elle ne voit pas le danger, ou, si elle le voit, elle le méprise ; car, tandis qu’elle s’élance si imprudemment à sa perte, elle ne songe qu’à se divertir. Peut-être, convaincue qu’il n’y a point de salut possible pour elle, veut-elle passer gaiement ses derniers jours. Quoi qu’il en soit, jamais elle n’avait eu plus de motifs de tristesse et jamais elle ne s’était donné plus de fêles qu’en ce moment. Elle pousse au délire la manie des banquets. Il n’y a pas en France, par exemple, une ville, un bourg, un village, un hameau qui ne soient possédés du désir de boire et de manger n’importe quoi à la santé de n’importe qui. Les plus enragés aimeraient mieux – cela s’est vu – par conséquent je puis dire aiment mieux, célébrer la guillotine, que de se passer entièrement de célébrations. Ab uno disce omnes.
Je suis d’ordinaire plus raisonnable et beaucoup moins folâtre que l’espèce humaine, permettez-moi de m’en vanter ; mais cette semaine, par exception, j’ai secoué ma tristesse et envoyé ma sagesse en vacances. Moi, aussi, Monsieur le Directeur, j’ai voulu prendre ma part de ce divertissement beaucoup trop général. Je me suis senti tout-à-coup saisi d’une idée fixe : une fête. Évidemment, vous le voyez, c’est une épidémie comme le choléra. Je n’avais que l’embarras du choix : Toulouse me conviait à ses délirantes farandoles ; Bourges m’invitait à l’exhibition d’un grand homme manqué, changeant pour la quinzième fois de parti ; le Mans, aux volailles justement célèbres, m’offrait, sous les arbres de ses promenades, un festin monstre de 1 fr. 10 cent., où toutes les gardes nationales de la Sarthe étaient invitées ; l’Alsace me promettait des surprises enchanteresses ; enfin que vous dirai-je ? si le plus innocent de tous les jardins publics, le plus pur jusqu’alors de tout excès politique, social ou autre, le Chalet, puisqu’il faut l’appeler par son nom, n’avait pu, malgré ma passion insensée pour la Suisse, m’inspirer le désir de voir M. Risquons-Tout contrefaire sept ou huit révolutionnaires célèbres, les cabarets de la barrière de Sèvres préparaient des toasts et des discours qui piquaient davantage ma curiosité. Mais quand une fois on prend des fêles on n’en saurait trop prendre. Après une courte délibération, je me suis donc décidé pour Bruxelles, car le bourgmestre de cette ville, M. Wyns, et son secrétaire, Waefelaer, avaient eu la complaisance de m’envoyer un programme composé de quatre jours entiers de salves d’artillerie, courses de chevaux, congrès agricole, sonneries funèbres, grandes retraites militaires, revues et distributions de drapeaux, jeux et exercices populaires, tirs, expositions agricole, de l’industrie et des arts, ommegang, concerts, distribution de prix, bals, illuminations, etc.. etc., le tout en l’honneur du dix-huitième anniversaire de l’indépendance belge.
Je n’avais jamais vu d’ommegang, je n’en avais même jamais entendu parler, et mon imagination m’en traçait les images les plus variées et les plus fantastiques. Les vieillards, vous le savez, sont aussi capricieux que les enfants; tout le reste du programme ne m’eût pas fait descendre mes cinq étages ; pour un ommegang, je fusse allé, je crois, jusqu’en Chine, si vif était le désir que j’éprouvais d’en contempler un. En m’endormant à Paris le samedi soir, 23 septembre, dans une berline du chemin de fer du Nord, je ne songeais qu’à l’ommegang, toute la nuit je rêvais ommegang, et le dimanche matin en m’éveillant à Bruxelles, ma première pensée fut encore pour l’ommegang.
J’arrivais à temps, c’était son jour. La veille et l’avant-veille avaient eu lieu les courses de chevaux, l’ouverture du congrès agricole, la sonnerie funèbre, la grande retraite militaire, les revues, les distributions des drapeaux, la cérémonie funèbre, etc. Je n’eus que le temps d’aller déjeuner et faire un peu de toilette, car les affiches qui recouvraient les murs m’avaient appris à ma sortie du débarcadère que l’ommegang se mettait en marche à midi. Comme je savais, en outre, qu’il passerait sur la Grande place, je m’y rendis avant l’heure fixée afin de m’assurer la possession de l’une des meilleures places
Elle était déjà pleine d’une foule aussi avide que moi de le voir lorsque j’y fis mon entrée. A toutes les fenêtres, à tous les balcons, sur tous les toits se penchaient des groupes de têtes curieuses de l’apercevoir du plus loin possible ; toutes les façades étaient ornées de drapeaux, de banderoles, de trophées, d’écussons, de transparents, que sais-je. Pour lui faire honneur des guirlandes de feuillage réunissaient les maisons que les rues avaient toujours séparées. Jamais souverain victorieux, rentrant dans sa capitale, n’eut à remercier ses sujets d’une réception plus empressée, plus joyeuse et plus splendide. Je me perdais en conjectures, ne demandant aucune explication à mes voisins afin de me réserver le plaisir de la surprise. Les minutes me semblaient des siècles. Enfin des cris de joie retentissent, des applaudissements se font entendre, la foule se calme et se range contre les maisons, tous les regards se tournent du même côté, un profond silence s’établit, mon cœur bat, j’ouvre de grands yeux, j’ouvre même la bouche et j’attends…
D’abord, spectacle peu nouveau, je vis déboucher sur la place un peloton de gendarmes; ils étaient beaux et bien montés, mais c’étaient des gendarmes. Puis venaient des pompiers escortés de leur musique, qui exécutait des fanfares ; et derrière eux s’avançaient cinq géants.
– Les géants de Bruxelles, s’écria mon voisin de droite stupéfait (c’était un Malinois, je l’appris plus tard), ils ne sont guère polis. Comment ! ils convient à une promenade dans leur ville tous les géants du royaume et ils prennent la tête du cortège ! Quel manque d’usage et de savoir vivre !…
– Ils passent devant pour leur montrer le chemin ! répondit mon voisin de gauche, qui était un Bruxellois
Pendant cet échange d’exclamation, les géants de Bruxelles avaient défilé. J’en comptai cinq. Tandis que je les contemplais, le Bruxellois me donnait sur leur compte quelques renseignements précieux.
– Voici le Grand Géant, me dit-il. – C’était un grand Turc qui avait une physionomie rébarbative. – Voici Petit Jean. C’est le dernier né de la famille; il porte encore le bourrelet et le tablier à bavette. On lui a même fait un bourrelet tout neuf pour la circonstance ; il s’amuse encore avec un hochet, et sa taille ne s’élève guère au-delà de sept à huit pieds. Petit Jean court devant, il danse, il saute et fait le joli . C’est de son âge.
« Derrière lui vient son oncle avec ses cheveux poudrés et son catogan, puis maman, pauvre vieillotte édentée, et papa, madré procureur portant perruque à la Louis XlV. Quant a cette pauvre Miekc, la tante, nous la chercherons en vain ; elle n’existe plus ! La dernière fois qu’elle se montra en public elle fit un faux pas et se laissa choir. Dans sa chute, elle se cassa le nez et autre chose encore, si bien qu’elle en est morte. Du reste, ajouta-t-il avec un soupir, ce n’est pas la seule perte de ce genre que nous ayons à regretter, grand- papa, grand’maman, le sultan et la sultane, Jean de Nivelle et sa femme Gudule ne vivent plus que dans la mémoire des Bruxellois désolés. »
Monsieur et madame Goliath d’Ath suivirent les géants de Bruxelles; puis apparut le langeman de Hasselt, un chevalier armé de pied en cap et assis sur un fauteuil roulant. Bien que ce chevalier eût eu vingt pieds de haut s’il se fût levé, la foule dont j’étais entouré le vit passer avec une profonde indifférence ; elle réservait toute son admiration pour un autre géant qui le suivait, traîné par quatre vigoureux chevaux, et qui, à mesure qu’il avançait, tournait majestueusement la tête à droite et à gauche, regardant avec dédain les infiniment petits curieux ébahis à ses pieds.
– C’est un des nôtres, me dit mon voisin de droite, le Malinois ; n’est-ce pas, monsieur, que les géants du Malinois sont plus beaux que ceux de Bruxelles,
– En tout cas, ils sont plus grands, lui répondis-je.
– Aucune autre ville, reprit-il, n’en possède qui puissent leur être comparés, non- seulement pour la taille mais pour la beauté. Le grand-papa que vous venez de voir n’a pas moins de trente pieds de hauteur. Mais regardez, voici maintenant le papa et la maman et les trois petits enfants.
– Charmante famille, en vérité, lui dis-je; mais… Il ne me laissa pas achever ; se posant en triomphateur et relevant la tête, il promenait sur la foule des regards superbes qui semblaient dire :
Qu’on est fier d’être de Malines
Quand on contemple ses géants !
Puis se retournant vers moi : Nous ne possédons pas seulement des géants, monsieur, ce Bayard menant en guerre les quatre fils Aymon, vient de Lierre, mais ces deux chameaux que conduit un danseur et qui ont sur le dos un Amour au lieu de bosse, ces deux chameaux comme on en voit peu.
– Comme on n’en voit pas…
– Ces deux chameaux sont à nous ; c’est encore à Malines qu’appartient la roue de fortune qui va passer devant nous, traînée par un cheval. Elle tourne constamment, comme vous le voyez, et tel qui était en haut se trouve tout-à-coup en bas : tantôt Arlequin, tantôt le procureur, devant nous le seigneur, un peu plus loin le paysan, l’image de la vie, monsieur.
Le Malinois allait me développer celte vérité que je connaissais aussi bien que lui, lorsqu’un grand bruit vint, fort heureusement pour moi, lui imposer silence ; au même instant des milliers de voix s’écrièrent autour de moi; le Doudou ! le Doudou !
– Qu’est-ce que cela? demandai-je à mes voisins.
– Le Doudou, monsieur, me répondit un jeune homme de Mons placé derrière moi, et qui n’avait pas encore parlé, c’est le chant que les Montois entonnaient lorsqu’ils marchaient jadis à l’ennemi. Maintenant il annonce seulement l’approche de ce grand dragon ailé que vous apercevez, et qui combattra demain sur la place du Sablon contre saint Georges.
En effet un immense dragon d’osier, recouvert d’un épiderme de toile verte, traversait la place en rampant, escorté d’hommes sauvages couverts de feuillages et brandissant des massues, de diables vêtus de noir et armés de vessies gonflées de vent, de tritons d’une tournure assez originale, et enfin d’une magnifique compagnie de pompiers.
– L’an 1137, me dit le Montois, un monstre effroyable ravageait les alentours des villages du Wasmes. Un paladin, qui revenait de Palestine, Gilles du Chin, résolut d’en délivrer le pays. Grâce au secours de la sainte Vierge, il le força dans sa retraite et l’occit d’un coup de lance. Tous les ans la parodie de ce combat mémorable se renouvelle dans la ville de Mons, devant l’hôtel municipal. Elle aura lieu demain à Bruxelles sur la place du Sablon. Venez la voir, ce sera curieux.
Tandis qu’il me donnait cette explication, le dragon s’étant éloigné avec sa suite, et la foule rompant les rangs se dispersait dans toutes les directions pour aller voir défiler sur d’autres points ce cortège qu’elle ne pouvait se lasser d’admirer. Mes trois interlocuteurs se disposaient à prendre congé de moi pour le même motif.
– De. grâce, messieurs, leur demandai-je, encore un mot, et l’ommegang ?
L’ommegang ! me répondirent-ils étonnés.
– Oui, messieurs, l’om…me…gang. – J’appuyais sur chaque syllabe, dans la crainte d’avoir mal prononcé, — l’ommegang promis par le programme, l’ommegang pour lequel je suis venu tout exprès de Paris…
Ils se regardèrent en souriant.
– Vous venez de le voir, me dit enfin le Bruxellois quand il se fut assuré, à ma figure naïvement stupéfaite, que je necherchais pas à le mystifier. Ommegang est un mot flamand qui veut dire procession. Il est composé de gaen, aller, et om, autour. Du reste vous. pouvez consulter les vieux livres, il y a des savants qui donnent une autre étymologie du mot …
– Ainsi j’ai vu un ommegang complet et je puis m’en retourner en France.
– Restez jusqu’à demain, me dirent-ils. Le cortège des chars allégoriques vous fera encore plus de plaisir que l’ommegang.
Je suivis leur conseil et je n’eus pas lieu de m’en repentir, car j’assistai à un spectacle moins naïf, moins original, mais plus artistique et plus beau; et qui avait en outre le mérite d’être entièrement nouveau. La commission chargée d’organiser, en 1848, les fêtes de septembre, avait eu une heureuse idée, celle de convoquer toutes les provinces à Bruxelles pour célébrer la conquête de l’indépendance belge. Chacune d’elles était invitée à se faire représenter, dans un cortège national, par un char allégorique. Elles se sont empressées de répondre à cet appel ; elles ont rivalisé de zèle, de patriotisme, d’esprit et de goût pour se personnifier, avec leurs attributs variés, leur caractère particulier, à cette fête destinée à prouver que, malgré leurs diversités apparentes, elles ne formaient par les idées et par les sentiments qu’un seul et même pays, qu’un tout plein de forcé et de cohésion.
Ce cortège se composait non-seulement des neuf chars des provinces, mais de cinq chars supplémentaires :
Le char des Lettres et des Sciences,
Le char d’or de la ville de Mons,
Le char des Beaux -Arts,
Le char de la Belgique,
Le char de la Gloire militaire.
Permettez-moi donc, Monsieur le Directeur, de ne vous faire la description que des trois dont j’ai cru devoir vous rapporter des dessins : les deux premiers et le dernier du cortège.
Le Char du Luxembourg (la chasse ancienne) ouvrait la marche, précédé par un détachement de cavalerie.
Au seul nom du Luxembourg, l’imagination se transporte dans celle antique forêt des Ardennes où, depuis les premiers temps historiques jusqu’à nos jours, les flèches et les balles· des chasseurs n’ont cessé de siffler, le cor de résonner, les meutes avides de se lancer à la poursuite du gibier. Consacré à la chasse, le char de celte province frappe les yeux par sa forme agreste et sauvage : il représente un entassement de rochers couverts de mousse et étreints par les bras robustes d’un chêne renversé. Sur celte espèce de monticule sont rassemblés différents animaux. Ici un oiseau de proie est perché sur un arbuste épineux. Là un renard, tapi dans l’ombre, semble guetter sa proie. Non loin de lui, un ours allonge son museau. A l’entrée d’une tanière, creusée dans celle masse de pierres, un loup avance la tête, tandis que sur le sommet du rocher on aperçoit, dressé sur ses légers fuseaux, un cerf portant l’image du Christ, et rappelant la vision qui convertit saint Hubert, le patron des Ardennes. Toute cette scène offre un caractère primitif. Plusieurs de ces petits chevaux luxembourgeois, si connus par leur ardeur infatigable, trainaient le char que conduisaient de robustes Tréviriens le carquois sur le dos et la hache pendante au côté.
Le char du Luxembourg était suivi d’un équipage de chasse moderne, des empereurs, des rois et chefs des sociétés d’arbalétriers, d’archers et de carabiniers, revêtus de leurs insignes et précédés de leurs drapeaux. Puis venait le Char du Limbourg (l’élève du bétail) : quel contraste frappant ! C’est dans le Limbourg que s’établirent les premières tribus germaniques, sollicitées par la fertilité du sol. De nos jours encore on y trouve d’admirables bergeries qui, exploitées avec intelligence, sont une source de richesses pour la contrée. Aussi, voyez ! le char de cette Province représente une jolie chaumière, isolée au milieu d’un pittoresque enclos que ferme une haie d’aubépines et d’églantiers, ornée de guirlandes de fleurs. Du côté de la façade principale saillit, légère et treillissée, la cage d’un colombier. Les bords du toit se prolongent soutenus de distance en distance par des troncs d’arbres ; sous cette espèce d’auvent apparaissent de jeunes enfants à la figure ronde et fraîche, tenant dans leurs bras potelés des brebis à la blanche toison, ou jouant avec des colombes au plumage irisé. Devant le seuil de cette modeste construction se dresse, en signe de réjouissance, un mât immense, orné de guirlandes et de banderoles. Deux trophées, formés de dépouilles d’animaux, s’élèvent de chaque côté.
L’attelage est composé de bœufs à la démarche pesante, que mènent des bouviers vigoureux.
A droite et à gauche du rustique équipage, on voit trottiner, sur des bidets à la queue retroussée et aux jarrets nerveux, des éleveurs reconnaissables à leur pittoresque costume. Un chapeau recouvert de toile cirée ombrage leur front: sur leurs vêtements flotte une blouse à larges plis, et des guêtres de couleur terreuse serrent leurs jambes jusques au-dessus des genoux. Ils tiennent la pipe à la bouche, et un énorme gourdin pend à leur poignet. Près d’eux s’avancent court-vêtues la laitière avec sa cruche reluisante et dorée, et la maraîchère portant sur la tête son immense panier rond et plat. Enfin derrière le char marchent des bergers la houlette en main et accompagnés des fidèles gardiens de leurs troupeaux.
Quant au char de la Gloire militaire, il ne me reste plus que la place nécessaire pour engager mes. lecteurs à le regarder. Toute description d’ailleurs serait superflue,
C’était un amas un peu confus de trophées vrais et faux, de faisceaux de canons, d’armures antiques, de cuirasses, de drapeaux, trainé par huit chevaux que conduisaient en laisse des sous-officiers des différents corps de l’armée. – Les blessés de septembre le précédaient, et il avait pour escorte, outre la compagnie des chasseurs-éclaireurs de Bruxelles et la musique du régiment d’élite, les diverses sociétés des frères d’armes de l’Empire, portant les drapeaux qui les ont menés si souvent à la victoire et qu’ils conservent comme de précieuses reliques.
Si ma lettre n’était pas déjà trop longue, j’aurais bien d’autres détails plus curieux à leur donner que je regrette vraiment d’être obligé de passer sous silence. En somme, Monsieur le Directeur, les fêtes de Bruxelles ont été vraiment belles et intéressantes, quoi qu’en disent messieurs les républicains rouges qui ne sont jamais plus moroses et plus tristes que lorsqu’ils voient les réactionnaires rire et s’amuser. N’est-ce pas que les Belges seraient bien plus heureux si, au lieu de se divertir encore avec des géants, comme se divertissaient leurs pères, ils s’égorgeaient journellement derrière des barricades au nom de la fraternité, ou s’ils dansaient des farandoles aux cris de vive la guillotine comme messieurs les Toulousains ! Puissent-ils conserver longtemps encore avec leurs vieilles coutumes d’autrefois l’horreur qu’ils manifestent aujourd’hui pour M. Risquons-Tout et sa politique. C’est ce que leur souhaite, en reconnaissance du plaisir qu’ils viennent de lui procurer,
Leur très-dévoué serviteur,
LE VIEUX FLANEUR.