L’inauguration à Cassel de la statue équestre du maréchal Foch
Grand Hebdomadaire illustré de la région Nord de la France (15 juillet 1928)
(Collection D. De Coune /Terre de Géants)
Le maréchal Foch est revenu dans cette petite ville de Cassel qu’il connut si calme aux heures terribles de la tourmente. Il y est revenu en triomphateur, escorté du président du conseil entouré d’une armée de généraux, d’une foule d’amis, d’admirateurs, suivi en pensée par tous ceux qui chez nous et chez nos voisins ont gardé le culte de la patrie sauvée et de ses glorieux libérateurs.
Sur cette colline qui domine les plaines de la Flandre, celui qui fut le généralissime des armées alliées a reçu l’hommage qui devait être le plus doux à son cœur de vieux soldat : l’hommage d’une humble population témoin des méditations et des luttes du grand chef qui, en installant dans ses murs son quartier général, allait décider du sort du monde. Cassel avait, avec lui, tour à tour tremblé et espéré, elle avait vu passer dans ses rues pittoresques cet officier si simple dont M. Henry Cochin écrivait qu’il avait plutôt l’air d’un paisible habitant de leur ville que d’un grand chef de bataille, elle l’avait vu s’agenouiller dans son église, elle l’avait vu songeur, l’œil perdu dans le vaste horizon, elle l’avait vu enfin partir, comme jadis César, de ce même pays, le front ceint des lauriers de la victoire. La France, Paris, le monde le réclamaient pour le fêter, mais Cassel n’oubliait pas.
Sur l’initiative, on le sait, d’un comité local présidé par un éminent industriel, M. Félix Bollaert, elle résolut d’élever un monument à son hôte des jours malheureux.
Un train spécial qui avait quitté Paris à 10 heures arriva à Cassel à 13 h. 20 et sur le quai de la petite gare, pavoisée, ce fut un déploiement rutilant d’uniformes et de drapeaux. M. Raymond Poincaré, président du conseil, avait tenu à venir en personne et M. Painlevé l’accompagnait. Entourant le maréchal Pétain, voici tes généraux Gouraud, Mariaux, Niessel, Lasson, Pau, d’Arnaud de Pouydlraguin, Colin, Weygand et tant d’autres. Nos amis belges, anglais, italiens ont envoyé des officiers, la Pologne forme une délégation et le bleu pâle de ses uniformes se mêle
aux ors et aux kakis. On se montre le lieutenant-général de Boosch qui représente le roi des Belges ; les habits verts de l’Académie s’avancent et c’est MM. Hataux, Georges Lecomte, le duc de la Force, Henry Bordeaux, auxquels s’est joint l’abbé Brémond. Les autres classes de l’Institut sont également représentées. Cassel n’avait jamais vu un tel spectacle.
Les ministres, maréchaux, généraux sont reçus par M.. Hudelo, préfet du Nord, et MM. .Masselis, maire, et Bollaert, président du comité d’érection du monument qu’on va inaugurer. Pour gagner la ville, qui est à près de 3 kilomètres de la gare et perchée sur la crête d’un de ces surprenants monts de Flandre surgissant chacun en cône régulier de la plaine immense. Un cortège d’autos se forme. Cinquante-deux voitures se succèdent sur la route .pavée qui serpente au flanc du mont Cassel.
Les drapeaux claquent aux fenêtres des maisons, au haut des mâts, sur les ailes même des vieux et célèbres moulins qui entourent, nombreux, la pittoresque cité. Dans les rues de Cassel, la foule est délirante ; il y a des Français et des Belges fraternisant une fois de plus dans une joie reconnaissant. Il y a aussi des Polonais, près .de cinq cents, arrivés le matin même, par train spécial, de Varsovie, pour crier leur amour à la France ; il y a des Anglais, et des Américains, et des Italiens. Tous ces Alliés qui se retrouvent échangent à nouveau de bons regards fraternels, dans la pensée des mêmes heures vécues ensemble pour un rude coup et sous le commandement de ce même chef qui les a conduits à la victoire.
En arrivant à hauteur du monument élevé à la mémoire des fils de Cassel tombés au champ d’honneur, le cortège des autos s’arrête. Par une rue escarpée, les personnages officiels atteignent l’emplacement où se dresse la statue équestre du maréchal. C’est une plate-forme minuscule pour la circonstance, large de moins de vingt mètres, où la foule se presse déjà autour du m0nument, encore caché par un large voile constitué par la réunion des drapeaux des nations alliées. On se tasse tant bien que mal. Le voile est enlevé. La statue apparaît ; elle est bien, sobre, de bonnes proportions. Les applaudissements qui la saluent sont mérités par le sculpteur M. Malissard et •1′ architecte Qui conçut le socle, M. Edgar .Boutry.
Les discours commencent, et, disons-le immédiatement, sans ennui pour les auditeurs. Les deux premiers très brefs : ceux de M. Bollaert, président du comité, pour· expliquer less raisons qui ont décidé de ce monument, et de M. Masselis, maire de Cassel, qui en accepte la garde.
Puis M. Gabriel Hanotaux prend la parole et son .discours, très académique, remporte un juste succès.
Enfin, M. Poincaré prononce son discours avec une conviction émue.
Un seul homme paraît vraiment gêné, contrarié de tout ce qui se passe, c’est le maréchal Foch.
Mais, après la dernière phrase du discours de M. Poincaré, alors qu’au son de la musique militaire les sociétés commencent à défiler, il s’anime. Avec le président du conseil, le général Gouraud et quelques autres, il escalade la base du socle de sa statue, laissant ainsi son effigie le dominer derrière son dos, et comme soulagé de ne plus voir la grande chose le bronze et de ne plus entendre chanter ses louanges, il regarde passer les drapeaux, les vétérans glorieux, les enfants: pleins d’ardeur. Son œil pétille, son sourire s’épanouit. Puis, le défilé terminé, il contemple la plaine immense qui s’étale devant lui ; avec le général Gouraud, il échange quelques phrases en montrant des points précis du paysage. Souvenirs de bataille.
La cérémonie d’inauguration est terminée.
Le lendemain, le maréchal Foch a assisté à un immense défilé de géants venus de tous les coins de la Flandre.