Les années d’après-guerre (1939-1945) sont l’occasion d’un baby-boom non seulement dans la population humaine mais aussi dans celle des Géants.
L’année 1956 voit ainsi la (re)naissance des Géants lillois Lydéric et Phinaert. Plusieurs photos ici présentées dans cette publication sont aisément localisables par la présence de lieux bien connus des Lillois (statue du P’tit Quinquin, Statue du Général Faidherbe, Palais des Beaux-Arts, Grand’Place…) et ont été réalisées lors du baptême des Géants tutélaires lillois (photos n°2 à 8)
Ces géants racontent l’histoire de leur ville Une grande tradition du Nord
Noir et Blanc, édition du 21/07/1956
Chaque année, entre le 15 juin et le 15 juillet, les principales villes des Flandres promènent en grande pompe de gigantesques mannequins d’osier somptueusement parés.
Quelle est l’origine de celte curieuse tradition ? Il est difficile de le savoir, car les folkloristes ne parviennent pas à se mettre d’accord entre eux. Certains pensent que les géants étaient jadis les éléments burlesques des défilés de corporation (ce qui, d’ailleurs, ne résoud pas le problème), d’autres prétendent que pour représenter leurs grands hommes, les Flamands du moyen âge auraient eu l’idée, usant d’un symbolisme ‘facile, de leur donner les formes et un stature de géants. Mais ces deux hypothèses sont à peu près abandonnées maintenant.
En effet, des folkloristes éminents comme George Frazer, par exemple, pensent qu’il faut voir dans les Géants du Nord (et d’Espagne, car les Géants existent également au-delà des Pyrénées), les derniers vestiges de rites agraires et saisonniers en usage dans les civilisations primitives, au même titre que S. M. le Carnaval de Nice. Ces étranges personnages qui continuent leur existence de façon anachronique au milieu des automobiles, des bicycles et des tramways, auraient donc traversé des millénaires pour parvenir jusqu’à nous.
A l’origine, ils représentaient sans doute un ensemble de symboles compliqués qui se rattachaient à la vie du clan. (Il est à remarquer, ce qui confirmerait l’hypothèse de Frazer, que dans certaines tribus indiennes de l’Amérique du Sud, des géants habillés de fleurs et de plumes d’oiseaux sont promenés lors des fêtes solaires.) Il est d’ailleurs probable que ces géants n’eurent une apparence humaine qu’assez tard. L’époque de l’année à laquelle on les honorait (au moment du solstice d’été), donne en effet à penser qu’il s’agissait de représentations phalliques, le culte du soleil ayant toujours été lié à certains rites de magie se rapportant à la fécondation.
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Du temps des Druides, les géants avaient déjà l’aspect que nous leur connaissons, puisque des auteurs grecs rapportent que d’énormes mannequins vêtus de feuillages faisaient partie de certaines cérémonies saisonnières qui se déroulaient autour des dolmens. Après la conquête romaine et l’implantation du christianisme en Gaule, la plupart des géants disparurent, et ceux qui restèrent furent identifiés par le bon peuple à quelque héros local C’est pourquoi, aujourd’hui, chaque géant rappelle un épisode historique ou légendaire de « sa » ville, sauf les plus récents qui se contentent de personnifier un « type »» du pays : l’Éclusier de Bapaume, le Jardinier de Saint-Omer, le Mineur de Denain ou le Pêcheur de Berk…
Il est à noter, en effet, que les personnalités contemporaines n’inspirent pas les fabricants de géants. C’est dommage. Les Lillois n’avaient-ils pas un « géant » tout trouvé avec le général de Gaulle ?…
DOUAI : Gayant (à gauche) est le plus ancien géant des Flandres. D’après certains auteurs, il représenterait, sous son aspect actuel, un seigneur nommé Jehan Gelon qui réussit, en 881, à délivrer Douai assiégé par des bandes barbares venues du Nord. Mais cet énorme personnage d’osier (il mesure 6m de haut) conserva son nom générique de Gayant (géant). Ce qui permet de supposer que nous nous trouvons là devant l’un des tout premiers avatars du mannequin promené par les druides lors des fêtes du printemps et du solstice d’été. L’Eglise ne « »christianisa » Gayant qu’en 1480 seulement. En 1479, le 16 juin, Douai avait réussi à repousser une attaque française et l’année suivante, pour commémorer cette victoire, on chanta dans les rues des cantiques d’action de grâce et l’évêque en profita pour incorporer habilement Gayant dans la procession. Jusqu’à la Révolution, le vieux rite païen fut ainsi mêlé à une fête religieuse. En 1564, les Douaisiens donnèrent une compagne à leur géant : Marie Cagenon, haute de vingt pieds. Remplacés en 1792 par la déesse Raison, M. et Mme Gayant réapparurent en 1801 Depuis, ils sont de toutes les festivités. On les voit ici « recevant » le président Monnerville. DUNKERQUE : Les Reuzes rappellent, eux aussi, l’époque des invasions barbares. La tradition veut qu’un jour la vigie du port de Mardyck vit la mer couverte d’étranges barques bourrées de guerriers gigantesques. L’alarme n’eut pas le temps d’être donnée que déjà les Reuzes avaient enlevé la ville et passé l’ensemble de la population au fil de l’épée. Le chef de ces barbares, le terrible Allowyn, fort de ses succès, débarqua un beau matin près de Dunekercke (église dans les dunes), mais tomba si malencontreusement que son glaive lui entra dans les côtes. Abandonné par ses hommes, Allowyn fut recueilli par saint Eloi, qui le soigna, le convertit et le maria à une des plus jolies filles du pays. De plus, le bon saint apprit au Reuze l’esprit de la sagesse, Non seulement celui-ci ne fit plus la guerre, mais, pour pouvoir vivre en paix au milieu des pêcheurs, il traça avec son glaive sur le sable les remparts de la nouvelle ville qui allait devenir Dunekercke. Dès 1550, un géant fait de roseaux et de chiffons fut promené chaque année au jour anniversaire- de la mort du Reuze. Puis, ainsi que tout réant respectable, il eut droit à une épouse. De cette union naquirent quatre enfants aux noms savoureux : Fietje, Mietje, Boutje et Meisje. Aujourd’hui, Reuze-Papa porte armure à la romaine, ce qui est curieux pour un chef de tribu scandinave, et c’est sur un char qu’il contemple Dunkerque du haut de sa grandeur.
DUNKERQUE : Les Reuzes rappellent, eux aussi, l’époque des invasions barbares. La tradition veut qu’un jour la vigie du port de Mardyck vit la mer couverte d’étranges barques bourrées de guerriers gigantesques. L’alarme n’eut pas le temps d’être donnée que déjà les Reuzes avaient enlevé la ville et passé l’ensemble de la population au fil de l’épée. Le chef de ces barbares, le terrible Allowyn, fort de ses succès, débarqua un beau matin près de Dunekercke (église dans les dunes), mais tomba si malencontreusement que son glaive lui entra dans les côtes. Abandonné par ses hommes, Allowyn fut recueilli par saint Eloi, qui le soigna, le convertit et le maria à une des plus jolies filles du pays. De plus, le bon saint apprit au Reuze l’esprit de la sagesse, Non seulement celui-ci ne fit plus la guerre, mais, pour pouvoir vivre en paix au milieu des pêcheurs, il traça avec son glaive sur le sable les remparts de la nouvelle ville qui allait devenir Dunekercke. Dès 1550, un géant fait de roseaux et de chiffons fut promené chaque année au jour anniversaire- de la mort du Reuze. Puis, ainsi que tout réant respectable, il eut droit à une épouse. De cette union naquirent quatre enfants aux noms savoureux : Fietje, Mietje, Boutje et Meisje. Aujourd’hui, Reuze-Papa porte armure à la romaine, ce qui est curieux pour un chef de tribu scandinave, et c’est sur un char qu’il contemple Dunkerque du haut de sa grandeur.
ARDRES : En 1653, les soldats du régiment de Rambures, excédés par les remontrances du gouverneur, décidèrent. pour se venger, de livrer la place aux Espagnols qui se trouvaient à Saint-Omer. Or, dans la ville de Ardres, vivait une jeune fille nommée Françoise Roze. Agée de vingt-deux ans, elle était la fiancée d’un capitaine-lieutenant du camp de Rambures. Celui-ci connaissait les desseins de ses camarades ; effrayé à la pensée que la femme qu’il aimait pouvait souffrir de l’invasion espagnole, il révéla le complot au père de Françoise. Celui-ci prévint aussitôt le gouverneur et une défense civile sauva la ville. C’est en souvenir de cette heureuse trahison que chaque année les habitants de Ardres promènent, le 11 juillet, le mannequin de la jolie Françoise Roze.
DOULLENS : Comme certains de ses frères, principalement ceux du pays minier, Florimond-Long-Minton fait partie des géants de la nouvelle génération. Il vit le jour en 1935. Mais, en dépit de son jeune âge, c’est déjà un rude gaillard de 5m75, pesant près de 300 kilos. Pour les Picards, Florimond est le type même du paysan « bien de chez nous » qui se rend au marché vêtu, comme il se doit, de velours d’Amiens (26 m de tissu ont été nécessaires pour confectionner gilet et pantalon). Son panier d’osier au bras, il lance à travers ses lunettes un regard malicieux qui éclaire un visage caractérisé par le fameux menton en galoche qui lui vaut son nom. Contrairement à la tradition qui veut que la charpente d’un géant soit en osier, la gigantesque carcasse de Florimond-Long-Minton est métallique. Ce qui représente environ 150 kilos de ferraille.
BERGUES : Le représentant de cette ville est un paisible bourgeois, dit « Le Berguenard », vêtu à la mode de 1830. Officiellement, il représente un électeur d’Alphonse de Lamartine, lequel – vous l’ignoriez peut-être – se glorifia du titre de député de Bergues de 1833 à 1839. Le « Berguenard » ne date que de 1913. Sa naissance coïncida avec de grandes fêtes lamartiniennes qui se déroulèrent sous la présidence de Paul Deschanel, alors président de la Chambre des Députés. Ainsi, quatre-vingts ans après l’avoir élu, les Berguois célébraient, à leur manière, le poète mâconnais qui avait honoré leur ville; car, pour façonner cette sympathique figure d’osier, on s’inspira d’un baste de Lamartine qui se trouve placé sur le perron de l’hôtel de ville…
LILLE : Les géants Phynaert et Lydéric sont liés aux origines légendaires de la ville. En l’an de grâce 620, sous le règne de Clotaire II, un prince du nom de Salvaert et sa femme Hermengarde, qui était enceinte, s’en vinrent s’établir aux abords de Lille. L’endroit était peu sûr en raison de la présence du géant Phynaert, gouverneur du pays. Un jour, celui-ci attaqua Salvaert et le tua. Miraculeusement épargnée, Hermengarde se réfugia chez un ermite où elle mit au monde un fils qu’elle nomma Lydéric. Plus tard, lorsqu’il apprit ses Origines, le jeune homme jura de venger son père. Le 15 juin 640 (on remarquera ici encore la proximité du solstice), Lydéric provoqua Phynaert en combat singulier et l’étendit mort à ses pieds. Nommé par le roi gouverneur du pays, Lydéric épousa Bithilde, fille de Clotaire, qui lui donna quinze enfants mâles d’où est sortie, prétend-on, la dynastie des comtes de Flandre. Depuis 1560, datent où pour la première fois ils apparurent aux yeux des Lillois, Phynaert et Lydéric changèrent, au gré des époques, de silhouettes et de costumes. Mais, au grand désespoir des historiens, jamais Lydéric, guerrier franc du VIIè siècle, ne se montra le chef chargé d’une queue de cheval ainsi que l’exigerait la tradition.
CALAIS : Jehan de Calais, que l’on voit ici, suivi de son épouse, était un courageux corsaire qui, au XVI siècle, débarrassa la Manche des bandits qui l’écumaient depuis le moyen âge. Un jour qu’il rentrait chez lui, un orage éclata, le forçant à aborder sur une île inconnue où il fit la connaissance d’une esclave nommée Constance. Elle était belle, il l’épousa et la ramena chez lui ; mais son père, qui désapprouvait ce mariage, refusa de le recevoir. Désespéré, Jehan reprit la mer avec sa femme. Après un mois de navigation, ils arrivèrent à Lisbonne où le roi de Portugal les invita en son palais. Là, il se passa une scène étrange. A la vue du souverain, la jeune femme poussa un cri. Elle venait de reconnaître son père. Bouleversé par cette révélation, Jehan supplia le souverain de ne pas lui reprendre celle qu’il aimait. Ce qui lui valut cette noble réponse : « Vous n’avez pas craint de l’épouser esclave, il est donc juste que vous la gardiez fille de roi. » On C0nçoit dès lors l’amour des Calaisiens pour leurs géants, et l’on s’explique pourquoi tous deux ressuscitèrent, dès 1952, avec leurs cinq mètres de haut, pesant une demi tonne, dans une ville où tout n’était encore que ruines.
CAMBRAI : Pourquoi a-t-on baptisé « Martin et Martine » ce couple mauresque ? L’histoire ne le dit pas. On raconte seulement que, partis d’Espagne « au temps des grandes guerres », ils vinrent ensemble chercher asile à Cambrai où ils furent admis au sein du corps des forgerons. Alors que l’oppresseur de l’époque occupait le château de leur évêque, à. Thun, les Cambraisiens, bien décidés à les en chasser, enrôlèrent le couple de Maures dont la taille gigantesque et la force herculéenne faisaient l’admiration de tous. Lorsque fût donné l’assaut du château, nos deux forgerons s’en donnèrent à cœur joie. Armés de leur terrible marteau, ils assommaient leur homme à chaque moulinet. Chaque coup asséné sur une tête faisait voler en éclats le casque du guerrier et fêlait à tout jamais le cerveau qui était en-dessous. Telle est, pour certains, l’origine du « coup de marteau » Ramenés triomphalement à Cambrai, Martin et Martine devaient mourir paisiblement. Ces deux personnages d’osier sont les plus grands géants des Flandres. Ils dépassent 6 mètres de haut.
VALENCIENNES : Un jour de juin 1807, le maire de Douai invita la Société Philharmonique de la Garde Nationale de Valenciennes à venir participer à un concours de musique qu’il organisait, mais ne lui décerna aucun prix. Dès lors, la Garde Nationale de Valenciennes n’eut plus qu’un but : se venger. Une mascarade allait bientôt lui en fournir l’occasion. On y ridiculiserait non pas Gayant, trop mâle, mais son plus jeune fils : Binbin. Personne n’ignore, dans la région, que Binbin est « berlou ». Les Valenciennois,·-on le voit, avaient la partie belle. C’est pourquoi, entre leurs mains, le malheureux bambin devint un grotesque personnage borgne. Victime de l’occupation allemande de 1914 à 1918, Binbin ne fut reconstruit qu’en 1925. Mais, comme la paix était également revenue dans les esprits et que les Douaisiens avaient fini par revenir à Valenciennes, on présenta cette fois à ses compatriotes un superbe Binbin frais et joufflu, mignon et potelé, et déparé seulement par un léger strabisme ! Depuis, ce bébé est de toutes les fêtes, il accompagna même, à Colombes, l’U.S. Valenciennes.