Introduction
Dans le monde des Géants, la genèse de la création de ceux-ci et celle de leur légende vont de pair. Se plonger dans l’histoire de Lydéric et Phinaert, les Géants tutélaires lillois, c’est se plonger dans leur légende et leurs variantes et pour les deux Géants dans les quatre grandes périodes de leur existence (1825-1848, 1850-début des années 1950, 1956-1995 et depuis 1999. En plus, la vie de ces deux postures tutélaires lilloises est aussi l’occasion de revivre l’histoire de la ville de Lille par leur présence lors de festivités, petites ou grandes, d’événements politiques et sociaux qui ont marqué la vie de la cité pendant deux siècles. Selon certaines sources, des Géants auraient existé dès le XVème siècle à Lille. La ville, à cette époque, était déjà florissante économiquement et démographiquement comme d’autres communes de Flandre et du Hainaut de même importance. Néanmoins, le nom de ces postures demeure inconnu Aucune trace historique avérée ne permet de remonter à une création des deux postures lilloises avant 1825 et leur participation à la procession et fête communale de Lille en l’honneur du nouveau monarque français Charles X, néanmoins, des représentations physiques des deux héros lillois apparaissent, pour le moins, dans la Procession de Lille consacrée à Notre-Dame-de-la Treille en 1665 et 1713. A la question : « Qui étaient Lydéric et Phinaert ? On pourrait se contenter, comme réponse, de l’exposé qu’en fit en Alexandre Desrousseaux, l’auteur du « P’tit Quinquin » dans LA TRADITION, revue traditionniste du 15 aout 1887 (traditionniste, un bien beau qualificatif que bien des amoureux du monde des traditions et du folklore populaire pourraient se prévaloir). Néanmoins, la foison d’informations sur les deux colosses d’osier et la légende qui les entoure par des contemporains, des érudits, des poètes, des journalistes des historiens sont loin d’être négligeables, aussi laissons leur laisser la parole, quitte à replacer le contexte historique par de courtes explications. |
Lydéric et Phinaert
Monstres et Géants
Par Alexandre Desrousseaux
« La Tradition », revue générale des Contes, Légendes, Chants, Traditions et Arts Populaires
Livraison du 15 aout 1887
La Procession de Lille créée en 1269 par Marguerite de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, laquelle a eu lieu chaque année jusqu’en 1793, le dimanche après la Trinité, excepté en 1596 à cause de la peste qui sévissait à Lille et dans ses environs, avait primitivement un caractère purement religieux. Des personnes des deux sexes la suivaient pieusement et l’on en voyait marchant pieds nus. Mais dans le XVIème siècle, chaque corps de métier y représentait une histoire, c’est-à-dire une scène de l’Ancien ou du Nouveau testament, et les pâtissiers et les corroyeurs y firent marcher deux géants en osier, un homme et une femme, ayant soixante pieds de haut.
Que représentaient ces géants ? Nos recherches à cet égard sont restées infructueuses. Il est cependant difficile d’admettre qu’ils n’avaient aucune signification. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils firent la joie de nos aïeux, et que lorsqu’on 1826 on organisa à Lille un cortège historique à l’occasion de la fête communale, on eut bien soin d’y faire figurer encore des géants comme une des grandes attractions du programme.
Ces géants étaient Lydéric et Phinaert ou Finard. Mais qu’étaient les personnages portant ces noms ?
Or, d’une légende rapportée par le chroniqueur Christian Masseeuw, né à Warneton (Nord) le 13 mai 1469, il résulte qu’en l’an 620, Salvaert, comte de Dijon, par suite des troubles qui régnaient en Bourgogne, fut forcé de quitter son pays pour aller demander asile au roi d’Angleterre, son parent. Il partit avec Emelgaïde, sa femme, alors enceinte, et de fidèles serviteurs. Comme il passait dans une forêt fameuse par les massacres qu’on y avait commis et qu’on appelait, pour cette raison, Bois Sans-Pitié, un méchant homme nommé Phinaert, qui gouvernait sous la suzeraineté du roi des Français le pays du Buc, tout en assassinant les voyageurs pour les voler ensuite, se jeta à l’improviste avec les soudards de sa bande sur Salvaert et sa suite et en fit un massacre général.
Emelgaïde suivie d’une de ses femmes, profitant du tumulte, se sauva à travers les marais. En relevant les morts, l’assassin s’aperçut de la disparition de la princesse. Craignant alors qu’elle n’allât demander vengeance à quelque puissant seigneur, il la fit activement recherché.
Harassée, sans force, Emelgaïde s’était arrêtée dans le voisinage d’une fontaine qu’ombrageait un bouquet de saules. Elle y accoucha d’un enfant mâle qui paraissait plein de vigueur. Quelques heures après, sa suivante étant montée sur un monticule, aperçut une troupe de gens armés, au nombre desquels se trouvait le meurtrier de son maître. Alors Emelgaïde, voulant du moins soustraire son enfant à une mort immédiate, le cacha dans un buisson et se laissa emmener prisonnière avec sa servante, dans les sombres cachots du château du Bue, qu’habitait le tyran Phinaert.
Vers le soir du même jour, un ermite nommé Lydéric, dont l’habitation était près de la fontaine del Saulx, c’est-à-dire des saules, ayant entendu les gémissements de l’enfant abandonné, s’empressa de le recueillir. Il le baptisa, lui donna son nom, le fit nourrir par une biche, et l’éleva enfin avec une sollicitude toute paternelle.
Ne doutant pas que cet enfant ne fut le fils de l’infortunée princesse, il l’instruisit de tout ce qu’il savait, lui parla souvent de la malheureuse fin de son père, de la captivité de sa mère et ne négligea rien pour l’exciter à punir le traître. Puis il l’envoya en Angleterre où, sous la direction d’un savant abbé, il devint un prince accompli. A dix-huit ans, il entra au service du roi d’Angleterre dont il aima, dit-on, la fille et en fut aimé. On lui reprocha même d’avoir trop longtemps oublié près d’elle la captivité de sa mère. Il s’en souvint cependant, et, suivant les conseils que lui avait donnés le bon Ermite, il alla trouver le roi de France, Clotaire II, et lui demanda l’autorisation de défier et combattre Phinaert dans un combat corps à corps.
Le roi autorisa ce duel qu’on appelait alors jugement de Dieu. Il eut lieu à l’endroit même où, vingt ans auparavant, le crime avait été commis.
Après une lutte terrible, Lydéric tua Phinaert et délivra sa mère.
Le roi, enchanté de la bravoure de ce jeune homme, lui donna toutes les terres du vaincu, ainsi que le château du Bue, où il résidait, et le nomma Premier forestier de Flandre.
Il y a à Lille une rue Lydéric et une rue dite de La Fontaine del Saulx. En 1849, il a été question, dans la même ville, d’élever un monument commémoratif sur l’emplacement qu’occupait, assure-t-on, la dite fontaine, mais jusqu’ici, rien n’a encore été entrepris à cet égard.
Les géants Lydéric et Phinaert ont paru dans les cortèges historiques de 1826, 1827, 1828, 1829 et 1830. Ils ont en outre figuré dans les cortèges des Fastes de Lille en 1850, 1851, 1858 et 1863. Toujours l’annonce de leur participation à ces fêtes a attiré à Lille un nombre très considérable de visiteurs, toujours ils ont été acclamés, toujours ils seront revus avec le plus grand plaisir.. Leur légende a été le sujet d’un nombre assez considérable de chansons, tant en français qu’en patois. On en a aussi fait une pièce de comédie, sous ce singulier titre : « La vie barbarique de Finard« , puis très anciennement, une complainte on ne peut plus naïve, en vingt-six couplets, que l’on vendait encore il y a une trentaine d’années sur feuille volante, avec les portraits peu authentiques, comme on le pense bien, des deux gigantesques personnages. Voici quelques couplets de cette complainte :
Fuyant par la campagne,
Ce prince infortuné,
La Bourgogne et Champagne
Il a abandonné.
Il avait à sa suite
Quelques hommes de mérite,
Les plus hardis au coup ;
Et son épouse enceinte
Fuyait saisie de crainte,
Ell’ suivait son époux.
Le duc de Salvaert
Marchant diligemment,
Pour gagner l’Angleterre,
Où étaient ses parents,
En passant près de Lille,
Où était son asyle,
Finard et ses soldats,
L’attendant au passage,
Pour faire un grand carnage
Se portant sur ses pas.
Finard et ses gens d’armes,
Plus de quatre contre un,
A grands coups de leurs armes
Ces cruels importuns,
Mettant tout au cercueil,
Sans qu’il en reste un seul,
Du prince et ses soldats,
Ne restant que madame,
Avec une autre femme,
Dans le bois se sauva.
L’infortunée princesse,
Cachée sous un buisson,
S’accoucha de détresse
D’un beau petit garçon.
Aidée de sa servante,
Malgré son épouvante ;
La mère s’est dépouillée
De ses habits exquis,
Déchirant sa chemise,
Et l’a emmailloté.
Elle fondit en larmes,
En entendant la voix
De .ces cruels gens d’armes,
Qui parcouraient le bois.
Prévoyant son revers,
Sous un buisson couvert,
EH’ cacha son poupon,
Dit d’une triste oeillarde :
Ciel ! je vous donne en garde
Mon aimable garçon.
Un hermite au bocage,
Allant puiser de l’eau,
Près, de son hermitage
A la fontain del saulx,
Il entendit naissante,
Une voix languissante
Pleurer amèrement ;
Dedans le bois s’enfonce,
Il trouve sous les ronces
Ce beau petit enfant.
Cet hermite très sage,
Sitôt l’a emporté
Dedans son hermitage,
Il le fit allaiter
Sitôt par une chèvre.
En approchant les lèvres
Il suçait joliment.
S’élevant de la sorte,
Et tenant dans sa grotte
Jusqu’à ce qu’il fût grand.
Quand il eut atteint l’âge
Du bon sens la raison,
L’ayant rendu bien sage
Par éducation,
Lui déclarant d’avance,
De Salvaert son père
Que Finard ce grand traître
S’en était rendu maître
Et qu’il tenait sa mère
De ce lieu solitaire,
L’hermite l’envoyant
Tout droit en Angleterre.
Pour y voir ses parents,
Dans peu de temps s’avance.
De jouter à la lance
Et autre’ exploits guerriers,
D’un courage inégal,
Pour monter un cheval
Il était le premier.
S’étant dressé en guerre.
S’en alla à Soissons,
Trouver le roi Clotaire
Le premier de ce nom,
Qui était roi de France.
Très humblement s’avance
Près de sa majesté.
Il se mit en devoir
De conter son histoire
Cet infortunité.
Finard devant la France
Voulut nier son fait.
Il lui dit: Prends ta lance,
Je connais ton forfait.
Sont armés de cuirasses,
De casque et de rondaches,
A la mode du temps;
Frappant d’estoc et taille,
Lydéric à la bataille,
II n’avait que vingt ans,
L’un sur l’autre s’avancent,
En courant au plus fort,
Cassant, brisant leurs lances.
Frappant dessus le corps.
Finard d’un coup fatal,
Tomba de son cheval ;
Lydéric à la même heure
Sitôt mit pied à terre,
Plus vite qu’un éclair
il lui perça le cœur.
D’une voix authentique,
Le voyant aux abois,
Tout crie : Vive Lydéric !
Très applaudi du roi.
Il le fit sans attendre
Grand Forestier de Flandre,
Et de la part du roi,
Courant d’un pas léger
Déprisonner sa mère
L’embrasser mille fois.
Voici ce qu’en a dit le Progrès du Nord du 1er juin : « II y a une quinzaine d’années qu’ils ne sont sortis et nos concitoyens les revoient avec un plaisir qui se manifeste bruyamment par des éclats de rire sans fin ! On les entoure comme de vieux amis, les enfants font des rondes sous les regards placides des deux héros légendaires. »