La Grande Kermesse de Lille
Le Grand Écho du Nord de la France – 2 juin 1936 (© BNF Gallica)
Le cortège carnavalesque, bruyant et coloré, a défilé avec succès dans les rues de la capitale des Flandres
Décidément, rien ne va plus ! La Pentecôte avec les froides giboulées de mars, cela n’a pas le sens commun…
Quelle pauvre figure allait faire, alors, sous le ciel couvert et l’âpre brise, le « Carnaval d’Été » de la grande kermesse ?
Eh bien ! le cortège, le traditionnel cortège costumé s’est défendu ! Les groupes ont été vaillants et les vifs coloris de cette fresque animée se sont efforcés de chanter en dépit du temps gris.
Quand, de temps à autre, le soleil arrivait à luire, le défilé en était tout transformé. La chanson des couleurs se haussait d’un ton, la lente cavalcade s’égayait, les musiques semblaient avoir aussi plus d’entrain.
L’affluence était grande dans toutes les rues où passa le cortège et, tout compte fait, la grande kermesse a été réussie.
Nos amis belges restent les grands animateurs de ce cortège. Leurs Sociétés en formaient la moitié et elles étaient parmi les plus remarquées, se signalant par leur originalité, leur recherche, leur enthousiasme.
Il faut de l’enthousiasme pour créer et entretenir des groupements travestis et c’est une satisfaction, au milieu des difficultés actuelles, de constater que cet élan populaire ne meurt pas.
La tradition des fêtes carnavalesques, des défilés en musique, des déguisements colorés, c’est toute la Flandre et sa saine et robuste gaîté.
La grande kermesse de Lille n’y faillit pas, tant mieux.
Au pied de la déesse, les deux géants Lydéric et Phinaert ont assisté au. défilé et l’ont contemplé d’un air blasé.
Hélas ! ils ne gambadent plus, comme leurs cadets belges de Liège et de Termonde, qui dansaient hier sur le pavé lillois. On ne peut être et avoir été…
Les somptueuses plumes blanches des gilles ont fait la nique aux nuages menaçants.
Les gens de chez nous « buveurs de pluie, fumeurs de brume » ont le soleil dans le cœur.
Les musiques et les danses n’en ont pas été moins résolues, puisque – n’est-ce pas Mme la Marquise ? – tout va très bien !!…
Le chatoiement multicolore des groupes costumés
Le grand cortège, qui comptait une centaine de groupes s’est formé à Wazemmes, place de la Nouvelle-Aventure, pour se disloquer à Moulins-Lille.
Il a triomphalement défilé par la rue Nationale, la Grande-Place, les rues de Paris et du Molinel, les rues des Postes et de Wazemmes, d’Arras et de Douai jusqu’au boulevard des Écoles.
En tête, derrière un piquet de gendarmes à cheval marchait la fanfare des Hussards de Verviers en costume vert amande, bientôt suivis de couples hollandais dansant sous des ombrelles.
Puis, le chatoiement multicolore des pierrots, des paysans, des musiciens burlesques allait se développer durant une heure et demie,
Le cortège de la grande kermesse
On ne pourrait citer tous les groupes réussis, détailler leur aimable fantaisie, décrire leur accoutrement, raconter les attitudes, crayonner les gestes. Ce serait trop long et ça manquerait de couleur, de mouvement et de bruit.
Nous nous bornerons à citer, çà et là, quelques-uns des groupes qui recueillirent le plus d’applaudissements – encore que la foule du Nord soit généralement calme et réservée.
Il est, tout de même, des sociétés qui « dégelèrent » le public, comme par exemple, la tribu des Peaux-Rouges de Charleroi qui avait beaucoup d’allure, le char de la « Cour de Perse » du groupe philanthropique de Tourcoing, les Amis du Valet de Pique, de Bruxelles au visage discrètement tatoué d’un as de pique, les Écossais de Nœux-les-Mines. dont le chef, très britannique, faisait des effets de jarret.
Les géants liégeois étaient précédés d’un groupe de deux charmants enfants – un petit officier belge et une petite cantinière française – qui eut beaucoup de succès.
Le char de la Mascotte apportait la note fraîche d’une pastorale qui contrastait avec un défilé d’apaches, à vrai dire peu inquiétants.
Encore des Écossais, puis une jolie et pittoresque « noce silésienne », conduite par des violoneux et qui avait un mérite d’authenticité puisqu’elle était présentée par une société polonaise d’Escaudain.
Sur le char du « Palais des Sports » de Faches-Thumesnil, des hommes de marbre prenaient tous les cinq minutes des poses plastiques dont la trépidation du camion risquait de compromettre l’équilibre. Les acrobates de Lessines exécutaient à leur tour, à chaque coin de rue un numéro de cirque qu’eussent envié des professionnels.
Faches-Thumesnil, déjà cité, s’est signalé avec un char et une autre société qui nous restituait l’aspect d’une rue de Pékin. Ces Chinois, aux riches costumes et bien grimés, plurent beaucoup.
Le groupe des « Mickeys » de Termonde était parmi les plus originaux. Les têtes montées à ressorts étaient d’un irrésistible comique.
Une note artistique était donnée plus loin par les beaux groupes de Saint-Quentin : la fanfare des grenadiers, impeccable et martiale, et les couples en costumes 1830. Toute la commune était là : depuis le mayeur jusqu’au chef de gare et au juge de paix.
Ensuite… Ensuite ? Le ruban coloré se déroulait toujours.
Derrière le géant Jef, d’Appels-lez-Termonde, des cavaliers anversois avaient reconstitué : « la joyeuse entrée de Charles Quint »,. avec un souci de vérité historique digne d’éloge.
L’Union des commerçants de la rue des Postes présentait, sur un char agréable, la Reine du Printemps, escortée de jardiniers et de jardinières.
Il y avait aussi le char de la dentelle de Calais, le char « à la Gloire de Victor Hugo, » précédé des « Chansons de Desrousseaux » symbolisées avec esprit par les « Sans-Souci » lillois… Il y avait encore les « légionnaires romains « et « le triomphe de César », etc., etc…
Puis, enfin, Gambrinus, le roi de la Bière, chevauchait son tonneau, la couronne désabusée.
Fermant la marche, M. l’adjoint Coolen, ceint de son écharpe tricolore, adressait, de son landau présidentiel, des saluts non moins protocolaires à la foule.
Sur tout son parcours le cortège suscita la curiosité et l’admiration de la foule.
La pluie de plus en plus menaçante attendit six heures pour choir, ne contrariant ainsi que la fin du défilé.
Dans la soirée la Musique municipale donna un grand concert au Jardin Vauban, puis on dansa dans la rue, tandis que sur le ciel obscurci s’élevait, diaphane et légère, la flèche illuminée du beffroi.
Les groupes costumés qui n’étaient pas encore -fatigués de la journée, s’étaient répandus en ville où ils entretinrent, tardivement, l’animation. ‘
J.-S. D.