Le 14 Juillet à Lille
Le Grand Écho du Nord et du Pas-de-Calais – 16 juillet 1897 (© BNF Gallica)
La matinée
La Fête nationale a manqué cette année de commencement. Rien dans la soirée de mardi n’a annoncé et amorcé la fête. Il n’y a pas eu de retraite aux flambeaux. Elle a été remise à hier soir mercredi.
La fête n’a donc commencé que mercredi matin, annoncée par les salves qu’ont tirées les canonniers sur les remparts de la Citadelle.
Cette fois, le ciel est en fête, lui aussi ; le soleil brille dès les premières heures du jour dans un ciel sans nuages, d’un bleu profond ; pas une vapeur à l’horizon.
La journée s’annonce comme devant être très belle mais très chaude aussi.
Est-ce le beau temps ?, mais dès sept heures, la foule est déjà considérable dans les rues.
Le boulevard de la Liberté est ourlé d’une double haie épaisse de curieux, attendant le défilé des enfants des écoles ; le vaste parallélogramme du Champ-de-Mars est également bordé de curieux, attendant l’heure de la revue, et il en arrive à chaque minute de toutes parts à flots pressés.
Le service d’ordre, fait par des chasseurs à cheval non montés et des gendarmes à cheval, a grand’ peine à maintenir la foule dans les limites assignées et à faire respecter les emplacements qui doivent être tenus libres.
Pourtant aucun incident ne se produit. Les gendarmes se montrent très bons enfants, et la foule s’amuse tout en opposant aux plus vigoureuses sommations cette belle résistance passive qui désarme toujours.
La revue des écoles
Contrairement à l’usage, la revue des enfants des écoles n’est pas passée sur le boulevard des Ecoles, encombré par les préparatifs du banquet scolaire, mais boulevard de la Liberté.
Des tentes ont été dressées à droite et à gauche de la statue de Faidherbe pour les musiques :
Amis-Réunis de Wazemmes et Orchestre symphonique des Concerts d’Eté qui joueront pendant le défilé ; en face, de l’autre côté du boulevard, sur un terre-plein de la place de la République, une autre tente attend les autorités.
Les enfants sont rangés le long du boulevard, du Palais des Beaux-Arts au boulevard des Ecoles. Chaque groupe a sa bannière tricolore portant en lettres d’or le nom de l’école.
A huit heures arrive le général Avon, accompagné de son officier d’ordonnance, puis bientôt après, les membres de la municipalité : MM. Delory, maire, en petit chapeau et redingote, suivi de M. Debierre en habit ; de MM. Hannotin, Staes-Brame, Dupiod, Werquin, Samson, Dehouck, etc. ; le colonel Sever est également présent, ainsi qu’un grand nombre de conseillers municipaux.
L’Orphéon des Ecoles, formé d’élèves, prend place devant la tente et entonne un chœur ; Patrie, Honneur et Liberté, qu’il exécute d’une façon tout à fait remarquable, aux applaudissements de toute l’assistance; et ces applaudissements sont nombreux.
Le défilé commence par l’école de filles de la rue de l’Arbrisseau, précédée d’une fanfare collectiviste, dont presque tous les membres portent au revers du veston l’insigne du Parti ouvrier. La musique n’en est pas meilleure pour cela.
Cette fanfare défile en jouant devant la tente officielle, puis vient se ranger face à la statue du général. Et tandis que les différentes musiques jouent la Marche lorraine, le Père la Victoire, le Chant des Girondins, etc., le défilé se poursuit.
Mais bientôt on s’aperçoit que les enfants sont si nombreux que le défilé menace de s’éterniser.
On fait donc avancer les garçons et le défile se poursuit, sur deux colonnes, filles d’un côté, garçons de l’autre.
Les écoles se suivaient dans l’ordre alphabétique, et les enfants marchaient avec beaucoup de crânerie et d’ardeur, en bel ordre.
C’est l’école supérieure de garçon qui ferme la marche ; le général Avon quitte la municipalité, dont tous les membres montent en landau pour se rendre au Champ-de-Mars. La foule s’écoule du même côté. Il est neuf heures.
Aucun incident, aucun cri.
La revue militaire
La revue militaire est toujours le clou du 14 Juillet à Lille.
Bien avant 8 heures, les avenues entourant l’Esplanade étaient noires de monde, et à 8 h.1/2, plus une place n’était libre dans les tribunes et dans les enceintes réservées.
Il faut dire qu’un magnifique soleil, tempéré par un vent assez fort, apportait à cette fête un concours précieux, en permettant aux dames d’arborer leurs toilettes estivales aux fraîches couleurs.
A huit heures, les différents corps de troupes quittent leurs quartiers, et au son des clairons et des tambours, des trompettes, se dirigent vers l’Esplanade, suivis par une foule énorme.
Aussitôt arrivées sur le terrain de manœuvre, les troupes se forment face aux tribunes sur trois lignes parallèles, sur deux rangs, dans l’ordre suivant : officiers sans troupes, sapeurs-pompiers, canonniers sédentaires, 16ème bataillon de chasseurs à pied. Derrière se place le 43ème, et en dernière ligne, l’escadron du train des équipages et le 19ème chasseurs à cheval.
Dans la tribune officielle, pavoisée aux couleurs nationales, et brillamment décorée, prennent place les autorités et la municipalité.
Au premier rang, à gauche, M. Lauranceau, préfet du Nord, ayant à sa droite M. Paul, président du tribunal, et à sa gauche M. Fournez, procureur de la République. A ses côtés et derrière lui. nous remarquons : MM. Margottet, recteur ; Finot, archiviste départemental ;; Grant, Ricard, Godefroy, Trinquet, conseillers de préfecture ; Paisant, chef de cabinet du préfet ; Tribourdaux, conseiller général ; de Swarte, trésorier-payeur général ; Gustave Dubar ; Vallas, doyen de la Faculté de droit; de Lapersonne, doyen de la Faculté de médecine ; Gruson, ingénieur en chef ; Pierre, directeur de l’enseignement primaire ; Gaudier, inspecteur d’académie ; Minet, inspecteur primaire ; Le Goff, proviseur du lycée ; le corps consulaire presque au complet ; Duhem, Duponchelle, conseillers municipaux; docteur Folet, Van Hende, Debièvre, ancien bibliothécaire ; Vivier des Vallons, commissaire central ; les directeurs de l’administrations publiques, etc.
La droite de la tribune avait été réservée à la municipalité; y prennent place MM. Delory, maire ; Staes-Brame, Hannotin, Werquin, Debierre, Dupied, Samson, Dehouck, adjoints, et quelques conseillers municipaux, parmi lesquels le colonel Sever, son écharpe de député en sautoir.
A l’heure militaire, neuf heures précises, les clairons, les. tambours et les trompettes sonnent au champ, les musiques attaquent la Marseillaise, pour saluer l’arrivée du général de France, accompagné de son brillant état-major, et escorté d’un peloton de chasseurs à cheval.
Le commandant du corps d’armée descend de cheval, s’avance devant la tribune officielle et salue M. le Préfet, avec qui. il échange quelques paroles, et regagne son escorte, en rendant leurs saluts aux spectateurs qui se découvrent sur son passage.
Les commandements s’entrecroisent, les armes scintillent et bientôt le général en chef passe au galop devant le front des troupes, qui présentent les armes.
Puis, M. le général de France procède à la cérémonie toujours importante de la remise des décorations.
Les nouveaux décorés viennent se placer face à la tribune, le drapeau du 43ème s’avance ; la fanfare du 16ème bataillon de chasseurs ouvre et ferme le ban.
En leur donnant l’accolade, M. le général de France remet la croix à MM. les capitaines Loréal et Betrancourt, du 43ème ; la médaille militaire à l’adjudant Devaux, du 43ème ; le chef armurier Oriol et le maréchal des logis Caricaux, du 19ème ; le sergent Géhu, de la section d’infirmiers ; le gendarme Davion, de la brigade de Pont-à-Marcq.
La fanfare du 16ème chasseurs joue le « Chœur des soldats » de Faust, et le commandement de « en masse pour le défilé » retentit.
Les troupes vont se ranger au fond du terrain de manœuvre et M. le général de France, suivi de son état-major, prend place en avant des tribunes.
Les pompiers, sous le commandement de M. Druez, défilent les premiers, au milieu d’applaudissements.
Puis viennent les canonniers sédentaires, dont l’allure est bien militaire.
Derrière, un pas redoublé entraînant indique que les « vitriers » s’avancent. Des applaudissements éclatent de tous côtés, montrant que les petits chasseurs n’ont rien perdu de leur popularité à Lille, et ils la méritent bien, les braves soldats, par leur allure martiale et guerrière. Leur défilé a été pour eux un superbe succès.
En face des tribunes, leur fanfare se retire du défilé par un mouvement de conversion dont la précision et la rapidité ont été justement admirées.
Signalons en causant que la municipalité a dédaigné de saluer le drapeau des pompiers et celui des canonniers; ne seraient-ils point de l’armée, eux aussi, et si le soi français était de nouveau foulé par « les bottes prussiennes », ces corps d’élite n’auraient-ils point a combattre pour le pays ? Au passage du drapeau du 43ème de ligne, M. le colonel Sever se découvre enfin ; Delory, après un moment d’hésitation, se lève et ses collègues du Conseil l’imitent aussitôt.
Le défile du 43ème de ligne est également très correct et très beau; on applaudit vigoureusement.
Derrière le régiment, viennent les sections d’infirmiers et d’ouvriers, qui ont tenu à prouver que, bien qu’ayant abandonné le terrain de manœuvre pour des travaux non moins utiles, mais moins brillants, ils n’ont rien perdu des leçons d’autrefois.
Un nuage de poussière s’élève, pendant que retentit une joyeuse fanfare : c’est l’escadron du train des équipages qui s’avance au trot, avec ses voitures d’ambulance et de munitions, rangées par cinq, et qui défilent dans un ordre admirable.
Un peu plus tard, ce n’est plus un nuage, c ’est une véritable trombe de poussière : le 19ème chasseurs défile au galop. On distingue à peine les hommes et les chevaux.
Comme chaque année, éclatent sur le passage des cavaliers des tonnerres d’applaudissements.
Il est près de 10 heures ; le défilé est terminé. M. le général de France s’avance vers la tribune officielle ; il fait part à M. le Maire de ses félicitations pour la belle tenue des pompiers, et adresse aux autorités ses remerciements pour l’empressement qu’elles ont mis à venir assister à la revue.
Les tribunes se vident et peu à peu la foule s’écoule, véritablement enthousiasmée.
Le banquet des enfants
Dès dix heures et demie, les enfants des écoles commencent à arriver pour le banquet qui doit leur être servi sur le boulevard des Écoles, dont le terre-plein et l’allée du milieu sont clôturés.
Des tables ont été dressées sous les arbres, mais l’ombre est bien mince où elle existe, et c’est en plein soleil que la plupart des enfants s’installent.
Il y a huit rangées de tables, quatre sur chaque terre-plein. Du côté de la gare St-Sauveur, les filles ; de l’autre, les garçons.
La vaisselle est indifféremment de faïence ou de fer battu.
Maîtres et maîtresses surveillent les tables, veillant au bon ordre, s’empressant autour de leurs élèves.
On connaît le menu : veau, salade de haricots, jambon, fruits, bière et vin, plus un mirliton, plus aussi un drapeau planté dans le petit pain placé près de chaque couvert.
Trois mille enfants environ assistent à ce repas qu’égayent leurs rires, la musique des Amis-Réunis de Wazemmes, une fanfare et des bombes d’air tirées par instants.
La foule est assez nombreuse le long des clôtures, mais il y a relativement peu de visiteurs qui ont pu pénétrer dans l’enceinte; la consigne à l’entrée est très sévère, ce qui est bien, d’ailleurs.
Les membres de la municipalité font lentement le tour des tables, M. Delory en tête.
A midi, tout est terminé sans incident et les enfants, tenus depuis la revue du matin, c’est-à-dire depuis sept heures au moins, sont enfin libres.
L’après-midi
Le concert patriotique
Comme chaque année, « un concert patriotique », gratuit, a eu lieu dans l’après-midi, à 4 heures, au Palais-Rameau.
Inutile de dire que la vaste salle était comble, tant au parterre qu’aux galeries.
Mlle Ghyssens, une très jeune cantatrice de talent, élève de notre Conservatoire, un peu émue devant cette foule d’auditeurs, s’est vite reprise et a très bien chanté le grand air de la Juive et celui d’Aïda. Le public l’a frénétiquement applaudie.
M.Wattecamps, dans ses scènes comiques, a obtenu un très grand succès. Il a fait rire longuement plusieurs milliers de personnes ; aussi les bravos no lui ont pas manqué.
L’orchestre a brillamment enlevé Le Dernier Jour de la Terreur, de Litolff, et une fantaisie sur la Fille du Régiment. Une ovation formidable lui a été faite après l’exécution de la Marseillaise, du Chant du Départ et de l’Hymne russe.
Fête nautique
La fête nautique donnée par la société du Golfe de Lion sur le canal de la Haute-Deûle, a été favorisée par le beau temps. Une foule nombreuse se tenait sur les deux rives.
La fête annoncée pour 3 heures, n’a commencée qu’à 4 heures.
Les plongeons divers et surtout la « noce sur l’eau » ont été très applaudis et ont excité les rires du public.
Voici les prix qui ont été distribués par M. Louguet, président :
Course de vitesse, 100 mètres, par équipes de six hommes de chaque côté. — 1er prix, MM. Degerny, 4 m. 3 s. ; 2ème, Sapin, 1 m. 5 s. ; 3ème, Alphonse Sézille, 1 m. 15 s. ; 4ème, Auguste Vandomme, 4 m. 16 s. ; 5ème, Brice, 1 m. 20 s. ;6ème, Serrure, 1 m. 30 s.
Course d’adresse, avec habillement, de 100 mètres, par équipes de six hommes de chaque côté. — 1er prix, MM. J.-.B. Delaire, 1 m. 15 s. ; 2ème, Duplouy aîné, 1 m.16s. ; 3ème, Duplouy jeune, 1 m. 30 s. ; 4ème, Mourmant, 4 m. 35 s. ; 5ème, Stopelle, 1 m. 45 s. ; 6ème, Leleu, 2 m. 15 s.
Fête aérostatique
Dès trois heures, place de l’Arsenal, un ballon se gonflait. la Liberté. M. Courtecuisse, président de l’Avenir aérostatique du Nord, dirigeait la manœuvre.
A quatre heures arrive la Fanfare de Fives-Lille, et pendant toute la durée des préparatifs de l’ascension, elle joue, pour le grand plaisir des spectateurs, fort nombreux, les plus brillants morceaux de son répertoire.
De temps en temps, des ballons-pilotes sont lancés ; tous partent dans la direction de Béthune.
L’un d’eux, représentant un gendarme à la tête énorme, s’est accroché par les pieds à un fil téléphonique et, sur cette barre fixe d’un nouveau genre, s’est livré à des exercices d’acrobatie extraordinaires qui ont provoqué l’hilarité du public.
La scène s’est terminée par une amputation bien involontaire et Pandore a repris sa course vers des cieux plus cléments.
A six heures, le lâchez tout est prononcé. Aux accents de la Marseillaise et aux applaudissements des spectateurs, le ballon monte par M. Pouget, s’est enlevé et a pris la même direction que ses grotesques prédécesseurs.
Faubourg -de Valenciennes et rue Saint-Sauveur. Cent cinquante ballonnettes, d’un grotesque achevé, représentant, qui le légendaire Pandore, qui des cochons, des oies et des animaux phénomènes ont été lancés dans les airs, à la grande joie des bambins très nombreux, et des parents plus graves, qui faisaient semblant de n’être venus que pour écouter les concerts donnés par « les trompettes de Wazemmes » et la « fanfare de Moulins-Lille » mais qui riaient tout de même.
La Liberté est tombée à 6 h. 50 à Verquigneul, à 3 kilomètres de Béthune, sans accident. Le ballon s’est, élevé à 1.200 mètres d’altitude.
Jeu de balle
Une des plus belles attractions de la journée du 14 Juillet à Lille était la lutte de jeu de balle qui avait lieu au boulevard des Ecoles.
Deux excellentes sociétés, l’une de Bruxelles (Amédée Dehandschutter) et Carnières (Magnies-Castelain), étaient appelées à se disputer la palme. Le ballodrome du boulevard des Ecoles était entouré d’un public nombreux.
La lutte a commencé à 2 heures 1/2.
Voici le résultat de cette lutte :
Les deux parties sont arrivées à 12 jeux contre 12. Mais Bruxelles a gagné par suite d’une mauvaise livrée de la société française.
La soirée
La retraite aux flambeaux
Contrairement à ce qui se fait les autres années, la retraite aux flambeaux clôturait la fête au lieu de la précéder.
Le cortège, très bien ordonné s’est formé place de Tourcoing. Le départ a eu lieu, à 9 heures 20, dans l’ordre suivant : Clairons et musique des sapeurs-pompiers, les Trompettes de Wazemmes, l’Union de Lille, l’Union des Intimes, la Jeune Fanfare des Trompettes, les Amis-Réunis de Wazemmes, la Jeune Fanfare de Moulins-Lille, sapeurs-pompiers. Des agents formaient la haie.
Entre chacun de ces groupes se trouvaient placés huit tramways brillamment illuminés, dont deux portaient Lydéric et Phinaert.
La retraite a suivi l’itinéraire suivant, soulevant sur son passage un enthousiasme considérable : Rue Nationale, place de Strasbourg, rue Nationale, Grand’Place, rue des Manneliers, place du Théâtre, rue Faidherbe, place de la Gare, rue du Priez, parvis St-Maurice, rue de Paris, boulevard des Ecoles, boulevard Victor Hugo, place Barthélemy-Dorez, boulevard Montebello, place Cormontaigne, boulevard Bigo-Danel et place de Tourcoing.
Sur la Grand’Place
Dès huit heures, une foule considérable attendait, sur la Grand’Place. le passage de la retraite.
Les terrasses les cafés étaient assiégées, et ceux qui n’avaient pas trouvé de place circulaient s’intéressant aux illuminations qui décoraient la Mairie, le Théâtre, le Grand’Garde et l’hôtel de l’Echo du Nord.
La retraite tard ; il est 9 heures 1/2 et on n’entend toujours que l’orchestre tonitruant du manège de chevaux de bois installé derrière le Théâtre.
Enfin, vers dix heures moins le quart, des bruits de fanfares se font entendre, des sonneries de trompettes annoncent l’arrivée du cortège.
La musique des pompiers tourne le coin de la rue Nationale, entourée de sapeurs, porteurs de torches, et jouant un entraînant pas redoublé. On applaudit. Mais le premier tramway apparaît, joliment décoré de drapeaux et de lanternes multicolores, puis un autre, un autre encore, et toujours la décoration des voitures est plus fournie, plus élégante ; ce ne sont que festons et arabesques de lanternes lumineuses.
Entre chaque char, un groupe de musiciens. Le spectacle est charmant et c’est vraiment une surprise pour tout le monde.
Les géants
Mais voici qu’apparaissent Phinaert et Lydéric, les deux géants lillois, énormes, majestueux, entourés d’une guirlande de feu, bien plantés sur la plate-forme de deux fourgons.
Phinaert remue son énorme tête, salue à droite, salue à gauche, recueillant force applaudissements, cependant que Lydéric, le bon chevalier, s’avance, tenant noblement son faucon sur le poing, attirant à lui toutes les sympathies, par son maintien modeste mais fier. Malheureusement le défenseur d’Hermengarde a perdu son auréole. Les feux qui l’entouraient se sont éteints. C’est dommage, il semble être de la suite de Phinaert qui, lui, resplendit.
Toutes les musiques jouent en même temps, des clairons et des trompettes font un bruit assourdissant.
La foule, enthousiaste, applaudit très longuement jusqu’au moment où le dernier groupe tourne le coin de la rue des Manneliers. Le cortège retrouve là un nouveau public qui l’applaudit non moins chaleureusement.
En somme, cette retraite était réussie, pas banale. C’était l’opinion générale. L’idée des cars décorés était ingénieuse. Il faut dire aussi que le temps était des plus propices. Pas le moindre coup de vent. Les lanternes sont arrivées à la fin du parcours en parfait état. Il était onze heures et un quart.
Aucun incident.
La fête vénitienne
La plus belle attraction de la soirée et de toute la fête a été certes, la fête vénitienne organisée sur la Basse-Deûle, de la place Saint-Martin à la Morgue.
Des mâts pavoisés d’écussons aux armes de la ville, avec faisceaux de drapeaux tricolores, étaient reliés entre eux par des cordons de verres transparents multicolores, du meilleur effet.
Le Pont-Neuf, dont l’architecture se dessinait en lignes de feu, sur lequel avaient été établis des portiques en forme de dais illuminés, présentait un coup d’œil véritablement féérique.
Et sur l’eau se promenaient des gondoles brillamment ornées de verres de couleur et de ballons qui donnaient à cette partie du canal, généralement repoussante, un aspect tout à fait élégant et plaisant aux yeux. C’était vraiment une fête vénitienne.
Sur l’un des bateaux, une miniature de tour Eiffel de feu, était installée avec une musique dont les airs joyeux formaient, pour l’énorme foule qui s’était rassemblée sur les quais de la Basse-Deûle, un attrait de plus.
Une autre société musicale était placée sur le Pont-Neuf, couvert, lui aussi, d’une nuée de spectateurs.
Près des quais, à l’orphelinat des Bleuets, une chorale chantait des chœurs patriotiques que venaient fréquemment accompagner des pétards et des fusées.
Le rigide Palais-de-Justice s’était, lui-même, mis en frais : des guirlandes de verres aux couleurs nationales, des faisceaux de drapeaux tricolores le décoraient. Cette partie de la fête était donc tout à fait réussie. Nos concitoyens y ont pris grand plaisir.
Place Saint-André
Un bal très animé a commencé sur cette place, vers neuf heures.
A dix heures, un joli feu d’artifice est venu, pendant quelques instants, troubler les danseurs, qui se sont empressés de reprendre le quadrille interrompu, aussitôt la dernière fusée partie dans les airs.