Lille – 13 juin 1825 : Fêtes de la Procession de Lille et réjouissances à l’occasion du sacre de Charles X
Après les troubles de la Révolution, suivis du 1er Empire, vint le retour de la monarchie absolue « de droit divin ». Lille, après cette période longue et turbulente, était farouchement monarchiste et très attachée aux Bourbons. Il suffit de se souvenir de l’accueil que fit la capitale des Flandres au duc de Berry, fils du futur monarque Charles X et donc prétendant à la couronne de France. A la mort du duc de Berry, assassiné en 1820, ses entrailles furent enchâssées dans un monument funéraire érigé dans l’église Saint-Maurice. Dans ce contexte, Lille se devaient d’honorer le sacre du nouveau monarque Charles X par des fêtes somptueuses tout en rétablissant la Procession de Lille. Cependant, le Collège municipal ne pouvait réintroduire la Procession de Lille dans les mêmes formes d’avant 1793, mélangeant le sacré à des éléments profanes voire burlesques. Aussi, deux cortèges furent institués : l’un, dominical, purement religieux, le second, le lundi, présentant les fastes historiques de la cité. Lydéric et Phinaert, mannequins d’osier, marquent, dans ce cortège, leur prime apparition le lundi 13 juin 1825. Pour compléter, Cahier de la Gazette de Terre de Géants n°2 Souvenirs Lillois, relation des fêtes qui furent célébrées à Lille les 12,13,14 et 15 juin 1825 |
Programme des fêtes qui seront célébrés à Lille
à l’occasion du sacre de SA MAJESTE CHARLES X et de
l’anniversaire de la procession de Lille, instituée en 1269
par Marguerite de Constantinople Comtesse de Flandre
Nous Maire de la ville de Lille
Parmi les nombreuses institutions qui attestent la sollicitude des différents princes qui ont gouverné cette ville, on ne peut oublier l’antique solennité connue sous le nom de procession de Lille
Fondée dans le XIIème siècle, à l’époque où le commerce et l’industrie des dix-sept provinces prenaient un grand développement, où leurs heureuses relations établissaient de fréquents rapports entre le midi et tout le nord de l’Europe, cette fête prix le caractère de celles que l’on connaissent alors dans les villes anseatiques (sic) et les Pays-Bas
Nos pères en passant sous les lois de l’illustre maison de France, conservèrent leur attachement pour d’anciens usages ; Louis XIV lui-même les encouragea, et ses augustes successeurs laissèrent à cette cérémonie tout son éclat.
C’était par un motif bien légitime que nos aïeux désiraient chaque année le retour de ces solennités dans lesquelles notre sainte religion recevait hommage dû à son culte, à ces jours d’allégresse où le riche aidait le pauvre à oublier un instant ses souffrances, ou l’artisan se reposait de ses longs travaux où enfin tous les citoyens, flattés de voir un grand nombre d’étrangers assister à leurs jeux, saisissaient avec empressement l’occasion de leur rendre l’accueil qu’ils recevaient chez eux aux différents époques de leur fêtes commémoratives..
L’observateur lui-même, loin de dédaigner le grotesque de quelques images, la singularité de quelques vieilles traditions populaires, aimait à chercher parmi elles des matériaux utiles à l’histoire du pays.
Dès longtemps les fêtes de de la procession de Lille eussent recouvré tout leur éclat si l’administration eût pu céder sans de mûres réflexions à son vœu et au désir de ses concitoyens. Elle a fait dans ces dernières années quelques efforts qu’ils auront su apprécier, et si un délai trop long s’est écoulé depuis la suppression de la fête communale de cette ville, c’est qu’il n’était point sans difficulté de la rétablir de manière convenable et en se renfermant dans les dispositions qui pouvaient encore trouver en harmonie avec les lois qui nous gouvernent ; et d’ailleurs, quelle circonstance plus favorable aurions-nous pu choisir pour le rétablissement de ces fêtes , que le moment où notre Monarque chéri doit recevoir l’onction sainte, et lorsque la France entière se livre à l’allégresse que lui inspire cet heureux événement ?
D’après ces motifs, nous avons arrêté et arrêtons :
La fête de la procession de Lille et les réjouissances à l’occasion du sacre de SA MAJESTE CHARLES X seront célébrées, cette année, ainsi qui suit
Journée du dimanche 12 juin 1825
ART. 1.er La fête sera annoncée le dimanche, à 6 heures du matin, par des salves d’artillerie et la sonnerie des cloches de toutes les paroisses de la ville. Les processions de l’octave du Saint-Sacrement auront lieu dans toutes les paroisses aux heures accoutumées.
Exposition de plantes. – Art. 2. Pendant la durée des fêtes et les dix jours qui suivront, une exposition de plantes en pleine floraison aura lieu dans le local du Cabinet d’histoire naturelle, et des médailles seront distribuées, avoir : 1. ° Une médaille d’or à la plante la plus belle et la plus rare. 2. ° Trois médailles d’argent : la première, à la plante dont la floraison est le plus difficile à obtenir ; la deuxième, à celle qui a été introduite le plus récemment en France ; la troisième à celle dont la culture offrira le succès le plus remarquable. On admettra les plantes qui seront envoyées par MM. Les amateurs de culture tant de France que de l’étranger, et qui seront jugées dignes d’être exposées aux regard du public Les plantes étiquetées et portant le nom et l’adresse du propriétaire, seront remises dans le local avec le plus grands du cabinet d’histoire naturelle, où elles seront conservées avec le plus grand soin ; MM. Les étrangers pourront les adresser par le roulage à M. Goudeman, commissionnaire, rue du palais, charger d’en acquitter le transport et de les leurs renvoyer après l’exposition.
Ballon, à six heures du soir. – Art. 3. Un ballon fleurdelisé et orné de devises analogues à la fête partira de l’enceinte de tir à l’arc. Son ascension aura lieu à six heures et sera annoncée par trois coups de canon. La musique du corps des canonniers sédentaires de cette ville sera rendue à cinq heures et demie très précises dans cette enceinte, qui est réservée aux autorités civiles et militaires.
Illuminations. – Art. 4. Le soir, tous les édifices publics seront illuminés. Les habitants sont invités à illuminer la façade de leurs maisons.
Bals. – Art. 5. Deux orchestres publics seront construits, sur la place Saint-Martin ; et le second, sur la place de la Housse. Les danses y commenceront à sept heures du soir et finiront à minuit.

dimensions : 36 x 23 cm
Journée du lundi 13.
CORTEGE ET COMMENCEMENT DES JEUX.
Art. 6. Le lundi, à neuf heures du matin les autorité civiles et militaires ; les différentes administrations, civiles, militaires, de bienfaisance, etc. ; les députations de commerce, de l’industrie et des établissements désignés ci-après ; et enfin les corps ou sociétés qui doivent concourir aux exercices, se réuniront de la manière suivante, à savoir ; les autorités civiles et militaires, les corps administratifs et MM. Les officiers de la garnisons sont invités à se réunir dans l’église de Saint-Maurice, où il sera célébré une messe d’action de grâces, à la suite de laquelle ils iront se réunir au cortège, en passant par la rue de Paris, la grande place, la cour de la Mairie et le rue du Palais. Les autres corps se rassembleront le long de la rué de l’Hôpital Militaire, la droite à la place de Béthune, dans l’ordre indiqué pour la marche. A dix heures et demie, le cortège se mettra en marche dans l’ordre suivant :
PREMIÈRE DIVISION.
Art. 7. Cette division sera dirigée par l’adjudant-major des Canonniers sédentaires, ayant sous ses ordres l’adjudant-sous-officier du même corps.
1.° Les sapeurs, tambours et musiciens du corps des Canonniers sédentaires de Lille. 2.° Le buste du MARÉCHAL DE BOUFFLERS, qui s’est illustré par sa belle défense de Lille en 1708. Ce buste sera porté par des canonniers vétérans.) 3.° Les deux pièces d’artillerie destinées au tir à la cible. 4.° Les compagnies de Canonniers sédentaires. 5.° L’effigie de JEANNE MAILLOTE, qui contribua au salut de Lille en repoussant une attaque sur cette ville par les confédérés appelés Hurlus, le 19 juillet 1582.(elle sera portée par des archers de la confrérie de Lille, dite de St. Sébastien, qui se distingua dans la même circonstance en chassant les ennemis à coups de flèches.) 6.° Ladite confrérie, suivie des autres compagnies d’archers, dans leur ordre d’inscription. 7.° Les compagnies d’arbalétriers à la grande et à la petite arbalète. 8.° Les sociétés d’escrime. 9.° Les joueurs à la balle.
DEUXIÈME DIVISION
Elle sera dirigée par l’adjudant-major des Sapeurs-pompiers, ayant sous ses ordres un adjudant-sous-officier.
1.° Les sapeurs, tambours et musiciens du corps des Sapeurs-Pompiers. 2°. Le buste de VAUBAN qui employa toutes les ressources de son génie à fortifier Lille (ce buste sera porté par des sapeurs du corps des sapeurs-pompiers). 3.° Les compagnies des Sapeurs-Pompiers. 4.° Le buste de PHILIPPE D’ALSACE, comte de Flandres, qui fut le protecteur des manufactures, et obtint de l’empereur Frédéric que les négociants flamands auraient le privilège de vendre les draps et d’autres étoffes de ce pays dans les principales. villes d’Allemagne. 5.° Les sociétés de musique inscrites pour le concours d’harmonie. 6.° Les députations du commerce et de l’industrie dans leur ordre d’inscription, et portant des torses ornées d’emblèmes et d’attributs des différents arts ou professions. 7.° Le buste de PHILIPPE-LE-BON, duc de Bourgogne et comte de Flandres qui institua l’ordre de la Toison d’or et fit fleurir dans ses états les arts et les sciences. 8.° Les députations du Collège de la Société des amateurs des sciences, de l’agriculture et des arts, des différentes Écoles académiques, et de l’Académie royale de musique, portant, sur des écussons, les noms des Lillois qui se sont distingués dans les sciences ,les lettres et les beaux-arts. 9.° Les députations des établissements de charité, portant les noms de leurs fondateurs et bienfaiteurs.
LA TROISIÈME DIVISION
Cette division sera dirigée par l’adjudant-major du premier bataillon des grenadiers de la garde nationale, ayant sous ses ordres un adjudant-sous-officier.
Les sapeurs, tambours et musiciens de la garde nationale. 2.° Le buste de LOUIS XIV, qui a définitivement réuni la ville de Lille à la France (ce buste était porté par des gardes nationaux. 3.° Les grenadiers et chasseurs de la garde nationale. 4.° La musique du 8ème régiment de ligne, que M. le colonel de ce corps de ce corps sera prié de vouloir bien mettre à la disposition de l’autorité. 5.° Les détachements de la garnison qui devaient concourir pour le tir à la cible. 6.° La musique du 18ème régiment de ligne, sur la demande qui en sera faite également à M. le colonel. 7.° Les autorités civiles et militaires, les différents corps administratifs, MM. les officiers de la garnison. 8.° Les trompettes et musiciens du 3ème régiment de dragons, auxquels M. colonel de ce régiment sera aussi prié de vouloir en donner l’ordre. 9°. Un Char de triomphe, traîné par six chevaux richement caparaçonnés, portait :
BAUDOUIN IV, dit Belle-Barbe, sixième comte de Flandres, qui fit bâtir les premières murailles de Lille ; BAUDOUIN V, dit de Lille, ou le Débonnaire, qui fut régent de France pendant la minorité de Philippe Ier, et qui rendit cette ville de Lille considérable parmi celles de Flandres ; JEANNE DE CONSTANTINOPLE, comtesse de Flandres, célèbre dans nos Annales par la fondation de l’Hôpital Comtesse et l’institution des Magistrats de Lille, MARGUERITE DE CONSTANTINOPLE, sœur de Jeanne, fondatrice de la procession de Lille et de plusieurs établissements de bienfaisance.
Dans la partie supérieure du char était placé le buste de SA CHARLES X; notre auguste et bien aimé Monarque. Aux deux côtés de ce buste paraîtront deux figures allégoriques, représentant la Paix et la Ville de Lille. Les chevaux attelés au char seront conduits à la main par six piqueurs en costumes du· XVIème siècle. Autour du char marcheront huit hommes d’armes en costumes du même temps. Immédiatement après, viendront deux hérauts d’armes. Les cavaliers inscrits pour le carrousel rangés par pelotons de six.
QUATRIEME DIVISION
Elle sera dirigée par M. le commissaire de police du deuxième arrondissement

dimensions : 28 x 22 cm
1.° Des tambours en costume grotesque. 2.° L’effigie colossale de Finar. 3.° Celle de Lyderic, fils de Salvaert, prince de Dijon et vainqueur de Phinar. 4.° Les joueurs au seau. 5.° Les jouteurs. 6.° Les chasseurs aux canards. 7.° Les coureurs dans les sacs.
Le cortège, ainsi composé, se mettra en marche sous le commandement général de M. le colonel de la garde nationale, et partira de la rue de l’Hôpital Militaire pour se rendre au champ de mars, en suivant l’itinéraire ci-après indiqué, savoir, la place de Béthune, les rues de vieux marché aux Chevaux, du Molinel, de paris, la place du Théâtre, le vieux marché aux Poulets, la rue des Arts, la place des Patiniers, les rues des Chats-Bossus, de la Grande-Chaussée, la place du Théâtre, la rue des Manneliers, la grande place, les rues Esquermoise, Basse, des Chats-Bossus, les places du Lion d’or et de Saint-Martin, les rues de la Monnaie, Saint-Pierre, Française, Royale, de la Barre, du Gros-Gérard, des Fossés-Neuf, le pont du ramponneau, et s’arrêtera sur la plaine. Des tentes seront disposées pour recevoir les autorités civiles, militaires.
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Elie Brun-Lavainne, érudit, historien, fondateur de la « Revue du Nord » et archiviste de la ville de Lille pour services rendus, dresse, dans ses mémoires publiées en 1855, les conditions par lesquelles M. de Beaupuy, adjoint au maire de Lille fit appel à lui pour le rétablissement de la Procession de Lille. 1826, écrit-il, mais il est avéré que ces festivités eurent lieu peu de temps après le sacre de Charles X, le 25 mai 1825 à Reims. |
Mes Souvenirs
Par Elie Brun-Lavainne (extrait), publié en 1855
« …Peu de temps après, en 1826, M. de Beaupuy, adjoint à la mairie, chargé de la réorganisation de l’ancienne fête de Lille, c’est-à-dire d’arranger une procession solennelle, moins le clergé, vint me demander de lui rédiger un programme. J’évoquai les souvenirs historiques de toutes les époques, depuis Lydéric et Phinaert jusqu’au bombardement de 1792, et le cortège que je composai, lequel a servi de type à celui de beaucoup d’autres fêtes locales, eut un immense succès. La partie la plus difficile, quant à l’exécution, parce qu’il fallait le concours d’un grand nombre de volontés, c’était le défilé des corps de métiers, qui donnait une couleur si pittoresque à l’ancienne procession de Lille. Je n’avais fait que marquer leur place dans mon programme sans me charger du soin de la remplir. Comment ressusciter ces anciennes corporations définitivement mortes et enterrées? Comment réunir les individualités, faire taire les antagonismes, apaiser les prétentions rivales, même pour un jour ! M. de Beaupuy l’entreprit. Il fit appeler à la mairie les personnes les plus influentes dans chaque profession et parvint à obtenir des députations assez nombreuses el des emblèmes assez variés pour donner une idée à peu près exacte de l’ancienne procession. Le corps qui produisit le plus d’effet fut celui des imprimeurs. Quatre compagnons portaient sur une plate-forme ornée de draperies et de fleurs une petite presse qu’un enfant faisait fonctionner en imprimant, pendant tout le parcours du cortège, une chanson en patois de Lille que j’avais composée pour la circonstance et que le vent se chargeait de répandre parmi la foule. Celte presse appartenait à M. Blocquel et c’était lui qui avait eu l’idée de ce charmant épisode.
J’aurais voulu que tous les personnages historiques fussent représentés au naturel, les uns. à cheval, les autres sur des chars ; mais M. de Beaupuy, craignant que les Bauduins ne compromissent leur dignité en venant donner, dans les moments de repos, une poignée de main à Jeanne Maillotte, ou bien qu’on ne vit Louis XIV offrir des verres de bière à Philippe le Bon et aux chevaliers de la Toison d’or, préféra n’employer que des mannequins. On était bien sûr, du moins, que ces princes-là ne se griseraient pas.
C’est le costumier du théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris, qui fut chargé de la confection de tout le matériel, d’après les dessins du décorateur Cicêri. Dans ce temps-là on ne riait pas encore de la tunique abricot garnie de velours noir et de la toque à plumes, de sorte que tous nos mannequins furent habillés comme des héros de mélodrame.
M. de Beaupuy ne trouvait qu’un défaut dans mon plan, c’est que le cortège était sérieux d’un bout à l’autre. Il voulait une partie comique pour que la joie du peuple vint donner de l’entrain à la fête, et je n’avais trouvé, pour exciter le rire, que les mannequins de Lydéric et de Phinaert qui, après tout, n’étaient qu’une pâle imitation de la famille Gayant de Douai. Pendant son séjour à Paris, notre adjoint alla voir Horace Vernet qu’il connaissait particulièrement et, tout en causant de la procession de Lille, il lui demanda une idée bien burlesque pour compléter son cortège, Le grand peintre ne répondit rien, mais se mil à crayonner une figure de tambour major avec de petites jambes et une tète monstrueuse. Ce genre de charge, popularisé depuis par Dantan, était alors tout à fait neuf. M. de Beaupuy fut enchanté et courut faire exécuter tète et costume sans rien changer à l’idée du maitre. Cette grosse bouffonnerie fut un des principaux éléments de la fête. Tout le monde en rit à gorge déployée, et le peuple, qui est le plus habile inventeur de noms que je connaisse, le peuple qui venait d’applaudir Jeanne Maillotte, son héroïne de prédilection, appela ce bout d’homme qui venait après elle : le tambour major des Hurlus. Or le bout d’homme caché sous cette colossale citrouille de carton était un gaillard de cinq pieds six pouces, le fameux Angiou si connu à Lille par ses excentricités et ses habitudes d’ivresse, homme instruit et plein de talents, ancien élève de l’école Polytechnique, malheureusement abruti par la boisson et la misère.
Cette fête avait attiré tant de monde à Lille que des milliers de personnes, ne trouvant pas à s’y loger, durent passer la nuit sur l’esplanade et le long des remparts… »