Vieilles Coutumes
La Famille Gayant à Douai
Les Annales – 11 juillet 1909
(Collection D. De Coune/Terre de Géants)
Parmi les coutumes les plus curieuses de France, celle de promener chaque année, à Douai, la famille Gayant, mérite une mention spéciale. Pendant trois jours, ces géants d’osier parcourent les rues de la ville ; mais, exceptionnellement, cette année, les fêtes dureront quatre jours : du 11 au 14 juillet. Notre collaborateur et ami René Thorel, qui a habité Douai, a bien voulu nous donner la description de ce sensationnel cortège :
La Flandre conserve pieusement ses traditions. Or, parmi elles, la plus curieuse est peut-être le culte que les habitants de Douai ont pour certains mannequins d’osier, hauts de plus de vingt pieds, que l’on revêt d’une armure et que l’on coiffe d’un casque à cimier. Nous voulons parler de Gayant, le fameux géant que l’on promène dans les rues de Douai, le dimanche qui suit le 6 juillet, et qui est l’objet de la vénération de tous.
D’après M. Théodore Denis, l’origine de cette promenade annuelle est la suivante : de tout temps, on a célébré les fêtes municipales par des cavalcades dans les rues de la ville. Un jour, pour rendre ces fêtes plus piquantes, on imagina d’habiller un colosse d’osier en chevalier du moyen âge ; on l’appela Gayant, mot dérivé de géant.
Les Douaisiens adoptèrent aussitôt ce nouveau patron, et, bientôt, donnèrent à Gayant une épouse (habillée en châtelaine du moyen âge), puis des enfants : Jacquot, Fillion et Binbin.
La Famille Gayant, ainsi formée, est promenée dans la ville pour la joie des petits et des grands. Pour tout habitant de Douai, l’époque des fêtes de Gayant est une véritable solennité : celle-ci comporte trois journées, pendant lesquelles la ville est en liesse ; personne ne travaille, les boutiques sont fermées, la foule se répand dans les rues et acclame les géants.
« Binbin » est le dernier enfant de Gayant : tous veulent le toucher et embrasser ses vêtements, car, paraît-il, il préserve des maladies d’yeux.
Nous ririons peut-être en voyant passer cette singulière procession. Les Douaisiens, plus sérieux, se groupent autour de cette tradition, autour de ce souvenir qui, pour eux, est un drapeau. La tendresse et l’admiration dont ils entourent leur géant ne peut s’imaginer. Tout repose sur lui, tout se rapporte à lui : on se fait habiller à Gayant, on ne mange de bons fruits et de bonne volaille qu’à Gayant.
L’histoire a enregistré quelques traits qui en disent assez long sur les sentiments que Gayant inspire aux Douaisiens.
On raconte que, pendant la guerre de la succession d’Autriche, une compagnie entière de Douaisiens, qui s’était toujours montrée très brave et très disciplinée, déserta la veille même d’une grande bataille. Le maréchal de Saxe, qui commandait les troupes, adressa de sévères reproches au colonel du régiment. « Rassurez-vous, monseigneur, lui répondit l’officier, mes hommes sont allés voir danser leur grandpère. Ils reviendront bientôt. » Ils revinrent, en effet, et se firent une belle part dans la bataille.
ll faut avoir assisté à cette sortie annuelle de M. et Mme Gayant pour se faire une idée de la mentalité toute spéciale des habitants des Flandres qui ont le respect des coutumes et pour lesquels l’air de Gayant, très populaire dans le Nord, est un cri de ralliement, ainsi que le prouve cette anecdote, racontée par M. Th. Denis. Il se trouvait à Rennes, un dimanche. La musique militaire jouait sur la place. Cette musique venait d’attaquer l’air de Gayant; tout à coup, voilà que deux hommes du peuple, qui passaient, s’arrêtent, se prennent les mains, s’embrassent en pleurant, puis se mettent à danser.
Lille possède également ses géants: Lydéric et Phynaert, le premier comte de Flandre, aux temps mérovingiens, et le second, roi de Cambrai.
Dunkerque, depuis le seizième siècle, promène, par les rues de la ville, un magnifique guerrier espagnol qui porte le nom de Reuze.
Le Druon d’Anvers est connu, comme aussi le Goliath. d’Ypres et de plusieurs autres villes de Belgique.
Par ces temps de scepticisme à outrance, il est curieux et réconfortant d’assister à de tels spectacles, dont la naïveté est touchante et charmante. Ils perpétuent le culte de la tradition, le souvenir attendri du passé. Ils symbolisent l’union entre les Français, l’union, qui fait la force !
RENÉ THOREL