L’homme qui fabrique des géants
Nord-France – 1948
(Collection D. De Coune/Terre de Géants)
600 kg d’argile, 22 m. d’étoffe, un plein sac de morceaux de toile, 15 m2 de duralumin, 4 kg de colle forte, 150 m. de fil de fer, de la corde et des lattes de bois.
Que pensez-vous qu’on puisse faire .de matériaux aussi hétéroclites ? Vous ne devinez pas ?… un géant, braves gens. Un de ces gros et bons géants dont s’enorgueillit notre folklore et que l’on promène les jours de kermesse.
Quelle fière allure ils ont ces jours-là avec leur armure étincelante, leur bonne figure généreusement coloriée, toute leur masse imposante, dodelinant gauchement au gré des pas d’un solide porteur, dissimulé sous l’énorme carcasse.
Ils paradent glorieusement devant la foule qui les admire. Ils sont les héros du jour et c’est peut-être cette gloire qui nous a fait songer à les mieux connaître.
Un journaliste est un homme curieux par définition. Il veut, chaque fois qu’il le ·peut, connaître le « pourquoi et comment » de chaque chose.
Nous avons voulu voir de près l’anatomie de ces héros de légende. Mieux, nous avons assisté à la naissance de l’un d’entre eux. Nous voulons dire à sa fabrication.
C’était dans une petite maison .d’Hazebrouck, celle où demeure un couple d’artistes peintres, Lui, Maurice Deschodt, est peintre animalier. Elle, Georgette, est une spécialiste des fleurs et des portraits;. Ni l’un ni l’autre n’avaient jamais songé à fabriquer des-géants et-c’est m’avouera Mme Deschodt, par pure sentimentalité qu’ils acceptèrent de s’en occuper, il y a de cela un peu plus d’un an.
Le père de Georgette Deschodt, César Pattein, lui-même .peintre réputé, était en effet, fort attaché à la terre et au folklore flamands, et c’est en son souvenir qu’ils consentirent à s’attaquer à un travail .dont ils ignoraient tout.
Ils s’y attelèrent avec la fougue des artistes, travaillant seize heures par jour, délaissant complètement la peinture pour mener à bien une tâche qui les avait enthousiasmés. Ils ·manièrent, tour à tour, le marteau, la tenaille, la scie, le ciseau et le pinceau, s’attachant à des travaux souvent ingrats et rebutants. Et leur premier géant naquit, resplendissant, aussitôt fêté par la foule.
Ils firent « Tisje-Tasje » pour Hazebrouck, « Gédéon. et, son épouse Arthurine » pour Bourbourg, « Gargantua » pour Bailleul. Ils finissent à présent « Jan Hoet Kappon » (Jean le Bûcheron) destiné à Steenworde, tandis que M. Deschodt a commencé un âne énorme qui ira parer les fêtes d’Estaires.
If faut le voir, ainsi que sa femme, se passionner pour cette tâche, chercher la solution de mille petits problèmes de réalisation, et vanter les avantages de leur façon de procéder.
Une fois le personnage terminé, le rapport qu’ils en tirent n’est rien en comparaison de l’effort fourni pour mener à bien ce travail… de géant.
Mais, un artiste n’a jamais été un commerçant. Souvent, il se consacre tout entier à son art, sans trop se soucier de ce que cela lui rapporte
A. BELLENG1ER
Légendes des photos
Lui, Maurice Deschodt est peintre et sculpteur. Ses paysages sont d’une étonnante sensibilité. Mais il excelle dans le genre animalier dans lequel il fait preuve d’habileté.
Les fleurs, principalement les roses, sont la spécialité de Mme Deschodt, connue comme peintre sous son nom de jeune fille : Georgette Pattein. Tels sont les créateurs de géants.
Le premier travail dans la fabrication d’un géant, celui qui demande le plus de soins aussi, est la réalisation de la-tête. Il s’agit tout d’abord de la modeler dans une masse d’argile et de lui donner sa forme définitive. C’est là une besogne de sculpteur et M. Deschodt s’y connait.
De ce visage, il convient ensuite de prendre le moulage à l’aide d’une multitude de bandes de toile assemblées au moyen de colle forte.
Le masque, ainsi constitué, forme une carapace très résistante qu’on ne peut entailler qu’à la scie. Il est alors fixé sur un support en bois et recouvert de blanc de titane. Il ne reste plus qu’à polir et à peindre. Les moustaches et les cheveux sont en grosses cordes. Le casque en duralumin.
Grâce à ce couple d’artistes, Estaires aura aussi son âne. M. Deschodt en a déjà fait une ébauche qui permet d’augurer heureusement du résultat final. Dommage que ce petit animal ait si fâcheuse réputation. Mais peut être ses créateurs s’arrangeront-ils pour lui donner l’air intelligent.
Le corps est obtenu par un assemblage de lattes et de contreplaqué. Mais à quoi joue M. Deschodt… Il a l’air de se garer d’un poing énorme qui veut l’atteindre.
La tête en est déjà bien avancée. Ici le moule en toile collée est remplacé par une monture en fil de fer sur laquelle sera tendue l’étoffe qui figurera le pelage.
De ce visage, il convient ensuite de prendre le moule, à l’aide d’une multitude de bande toile assemblées au moyen de colle forte.
La hache qui, plus tard, ornera ce poing, est terminée. En attendant, elle sèche au milieu du jardin, tout en servant d’épouvantail à oiseaux.
Alors que les autres géants sont d’une construction très légère, celle de l’âne nécessite une armature en fer, qui a été faite dans le poulailler.