Ducasse d’Ath – Toilette de Géants
Le Soir Illustré – 27 août 1938
(Collection D. De Coune/Terre de Géants)
Mr et Mme Goliath vont sortir.
La Belgique est peuplée de géants. Nous l’avons bien vu en 1930 lorsque pour commémorer le centenaire de notre Indépendance, on vit dans notre capitale circuler un cortège de géants, députés par toutes les villes belges et accompagnés même d’ambassadeurs venus des nations voisines. Bruxelles n’était plus que Lilliput. Mais, la fête finie, chacun s’en fut chez soi et les géants bonasses attendirent nouvelle occasion de se montrer. Chaque cité est très fière des géants qu’elle possède ; celles qui n’en ont pas les envient à celles qui en ont jusqu’à toute une famille. • De graves savants recherchent leurs origines et étudient leur généalogie. A quelle époque et pour quelle raison, ces géants ont-ils envahi notre pays, s’établissant – paisiblement d’ailleurs -, à Bruxelles et à Anvers, à Tournai et à Ath, en Flandre et en Wallonie ? Nul ne le sait exactement, ce qui est d’autant plus singulier qu’il est difficile de prétendre que ces envahisseurs sont passés inaperçus ?
Mais si on parle beaucoup de nos braves géants quand ils sortent – ce qui a lieu à peu près tous les ans, à l’occasion de la fête locale -. et si leur vue réjouit fort le bon peuple qui s’esbaudit, le reste du temps on ne s’inquiète guère d’eu.x ni de savoir où ils logent et qui prend soin de les nourrir et de brosser leurs habits.
Car enfin ! Si nul ne s’en souciait, leurs beaux atours seraient mangés de mites, à tout le moins. Nous nous sommes donc enquis de cette grave question et nous avons obtenu permission de l’édilité athoise d’assister à la toilette de M. et Mme Goliath, qui sont, ces jours-ci, de sortie dans leur bonne ville. La charge honorifique de veiller à la bonne tenue du ménage est remplie non sans fierté par une famille athoise de vieille souche. Il en est de cela comme des rôles de la procession : demandez donc à Mons à celui qui remplit le rôle de Saint-Georges dans le combat du Lumeçon, au jour de la ducasse, ou au Christ de la procession des Pénitents de Furnes, s’ils ne sont point fiers de tenir leur place. Fierté bien légitime d’ailleurs et qu’il ne faut point railler.
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Mais, revenons-en à M. et Mme Goliath et à leurs plantureux compagnons. Faire la toilette de pareils géants n’est pas une sinécure ; cela suppose une longue pratique, car il importe que les costumes à draper sur leur immense carcasse tombent d’aplomb, ainsi que disent les tailleurs en argot de métier. L’ensemble doit être parfait et que rien ne vienne en rompre l’harmonie.
Il faut de longues journées de travail pour réviser, rafraichir et retaper les multiples accessoires qui servent à habiller Samson, Tyrant (Ambiorix), l’Aigle Bicéphale, Mme Victoire et le populaire couple de M. et Mme Goliath. Tout d’abord on vérifie soigneusement les énormes paniers d’osier et les courroies qui en assurent la rigidité : de celles-ci dépendent en effet la sécurité des porteurs. N’oublions pas que les compagnons de Goliath pèsent de 100 à 135 kilog ! Si on songe au travail intense auxquels ces échafaudages sont soumis durant les deux journées, au cours desquelles les Géants sont promenés dans les rues sans cesser de danser (car les porteurs font littéralement « valser » les gigantesques effigies) ; si l’on ajoute à cela l’effort de la brise qui gonfle leurs robes grandes comme des voilures de bateaux – les Géants ont une hauteur moyenne de 4 m.50 ! – on comprend les soins qu’il faut apporter à l’agencement des énormes « citoyens » d’Ath !
Lucien FOURMARIER.