La Grande Kermesse de Lille
Le Grand Hebdomadaire Illustré de la Région du Nord de la France – 26 mai 1929
(Collection D. De Coune/Terre de Géants)
Tous les ans, à l’ occasion des fêtes de la Pentecôte, de grandes réjouissances se déroulent à Lille, sous ce nom de kermesse. Cette année, la première journée fut toute entière à la musique et de nombreux concerts furent donnés par des sociétés étrangères venues à Lille.
Ces .différentes sociétés furent reçues à la gare par l’adjoint aux fêtes, puis elles se formèrent en cortège pour gagner le nouvel hôtel de ville, ou M. Bracke, élu maire pour trois heures, leur fit les honneurs de la ville.
De la -musique, en cette première journée des fêtes franco-belges, il y en avait partout. Le soir, à 20 heures, la fameuse Association des Equipages de la Flotte se faisait entendre au jardin Vauban. Ne croyez pas qu’une telle prodigalité d’auditions ait entrainé l’une de ces concurrentes dont l’effet eût pu se traduire par une insuffisance de public ; partout des auditeurs nombreux, empressés, qui n’hésitèrent .pas à délaisser le « home »pour la fraicheur des allées.
La fraicheur des allées du jardin Vauban était d’ailleurs très agréable quand débuta la grande audition de la musique des Equipages de la Flotte. Aussi, est-ce une nouvelle affluence qui entoura le kiosque brillamment illuminé. Le programme comprenait des pièces de Lalo, Beethoven, Florent Schmidt, Bruneau, Vincent d’Indy, P. Dukas,. Toutes ont bénéficié d’une exécution finie dans le détail et une belle homogénéité, sous l’animation ardente et précise du chef, qui ne cesse d’observer les valeurs du rythme et la netteté de la mesure sans lesquelles il n’est ni cohésion, ni ensemble possible ce qui a valu aux nombreux auditeurs des interprétations fou1llées, vivantes, d’une extrême vigueur.
Il semble aussi qu’on ait voulu particulièrement fêter la fanfare des « petits vitriers », qui donnait concert de 18 heures à 19·h 30, au Jardin de Fives, car c’est en foule que les promeneurs portèrent à cette audit1on. Les pelouses ensoleillées virent-elles jamais pareille affluence ? C’est par des bravos frénétiques que les petits chasseurs furent accueillis et salués à maintes reprises.
Sous la direction du sergent-chef Tremblay, qui a .paru s’être acquis une envieuse autorité, la brillante fanfare exécuta un programme remarquable de musique moderne, composé avec un -savant éclectisme et très substantiel.
Le soir, un feu d’artifice, tiré sur la place de la République, attira de nombreux promeneurs.
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Au programme de la deuxième journée des fêtes figurait un concours-cortège carnavalesque. Celui-ci .bénéficia d’un temps idéalement beau.
Le nombre des sociétés et des groupes fut particulièrement copieux : 140. Même en tenant .compte de quelques abstentions fatales, ceci nous donne encore un nombre respectable.
Tous ces « carnavaleux » furent réunis au début de l’après-midi sur tout le vaste emplacement du boulevard des Ecoles qui, malgré sa grande superficie, pouvait à peine tes contenir.
Trois bombes annoncent le départ, la troisièmes éclate à 14 h. 45 au lieu de 14 h. 3o ; un quart d’heure de retard.
L’officier de paix, M. Piacentini, prend alors la tête dans une auto-pilote pour frayer le chemin ; il est suivi par un peloton de gendarmes à cheval, et le défilé commence et déroule ses longs anneaux.
Ce ne fut que plus d’une heure après le signal du départ que le dernier groupe quittait le boulevard des Ecoles.
Nous n’allons pas maintenant nous livrer à la besogne fastidieuse de les énumérer tous ; nous nous bornerons à citer les principaux.
Voici d’abord un groupe de Hollandais et Hollandaises en sabots, les hommes en pantalon noir et blouse rouge, les femmes en jupe mauve, la tête couverte d’un petit bonnet caractéristique ; c’est une société de Cassel qui s’exhibe pour la première fois ; puis des Alsaciens du Cercle le Tilleul de Bruxelles
Puis ce sont plusieurs isolés : un homme habillé de timbres antituberculeux et deux couples fleuris aux couleurs voyantes ; un char énorme contenant des moissonneurs et moissonneuses avec les emblèmes de la moisson et un moulin dans le fond (de Lille) ; deux clowns : Dudule et Dodoche, de Calais.
C’est maintenant un groupe de paysans de jadis, blouse bleue, casquette de soie, portant d’énormes légumes, munis de bigophones ; les Flocons de neige de la société de Poperinghe, avec leurs vêtements noirs constellés de petits morceaux d’ouate, aspect que nous retrouvons un peu plus loin, dans un autre groupe.
Toute une société forme une variété de clowns des plus burlesques et aux vêtements les plus inattendus ; c’est une société de Bruxelles.
Plus quelque chose de nouveau : un géant à chapeau haut de forme, accompagné d’une géante et, que suit un chien de même proportion, race mouton, parfaitement imité et dont la carcasse est soutenue par deux hommes ; l’animal va e vient autour de ses maitres frôle la foule et lève la patte, mais ne va pas plus loin dans ce domaine risqué ·de l’imitation.
Successivement défilent : une petite marchande de crevettes, une marchande de ballons, des papillons, des paons aux couleurs variées.
Voici un char formé d’une auto· disparaissant totalement sous la construction d’une .maison de campagne à l’arrière de laquelle un énorme poste de T.S.F., muni d’un haut-parleur titanesque et à deux lampes énormes, débite des airs nasillards, au son desquels toute une foule danse frénétiquement.
Un autre char : les trompettes en bois avec leur uniforme-et leurs joues rutilants
Puis encore des Bretons, .des Hollandais.
Mais voici qu’apparaît un groupe immense, la clique Vanpee de Uccle. Ils sont en tout cinq cents pierrots en bleu et blanc, jusqu’ à un toutou en pierrot qui les accompagne. Cinquante-deux couples font des danses et des quadrilles ; c’est vraisemblablement le groupe le plus considérable.
Que citer encore ? Le groupe des grenadiers de Napoléon avec leurs obusiers lançant des bombes de confetti ; une folie royale superbe dans son costume rouge pailleté ; le retour des Indes avec des radjahs couverts de diamants et suivis d’un éléphant ; la folie moderne : un homme et une dame au riche costume jaune et or, avec un fétiche ; les as du sport de Fresnes, avec un mannequin réalisant au trapèze les plus audacieux rétablissements ; les amis de Batisse, avec un char très artistique représentant la haute cheminée d’une chaumière et deux vieux de chaque côté : aucun accessoire ne manque ; le char de l’Oiseau-Blanc, rappelant le sacrifice héroïque de Nungesser et Coli ; la crise du logement ; les produits exotiques de la régie française ; des gentlemen ; l’oiseau de nuit ; l’étoile du casinos et un bonhomme entièrement vêtu de bottes d’allumettes suédoises ; un groupe de vieux et vieilles de toutes tailles, marchant courbés, s’appuyant sur des cannes, vêtus à l’ancienne mode, les femmes vêtues de ce qu’on appelait jadis-, la mantille et tous exécutant, avec des pas hésitants, un pas de danse que nous ne connaissons plus.
Nous ne pouvons non plus oublier les Gilles au costume bigarré comme un tatouage, à la double bosse de polichinelle, au casque immense orné de plume d’autruche, le corps ceint de grelots perpétuellement agités, les pieds chaussés de sabots qui scandent une sorte de gigue perpétuelle : il y en avait de Jemmapes, de Nivelle et d’ailleurs. Leur réputation est actuellement quasi mondiale, puisqu’ils ont eu il y a quelques années, les honneurs de Paris.
Mentionnons encore d’une manière spéciale- un laitier et une laitière hollandaise d’un costume de satin ravissant formant un échiquier rose et bleu, portant,. soutenus aux épaules, des bidons dorés. Ils étaient superbes.
Il nous faut arrêter là cette énumération un peu longue.
Le cortège se déroula par l’itinéraire suivant : boulevard Papin, place Simon Vollant, rues de Paris, des Ponts-de-Comines. Faidherbe, place du Théâtre. boulevard Carnot, rue des Arts, place des Patiniers, rues des Chats-Bossus, .de la Grande-Chaussée, de la Bourse, Grand ‘Place (le tour), rue Nationale, boulevard .de la Liberté, place de la République. Dislocation.
Partout il fut acclamé et salué par des rires joyeux ; partout la foule était compacte sur les trottoirs et se pressait sur plusieurs rangs pour assister à ce spectacle amusant.
Au passage, on saluait les types les plus pittoresques ; le chou géant et les couples de vieux ne furent pas ceux qui eurent le moins de succès.