Lille – Les fêtes de Fives-St-Maurice
Le cortège de la Reine des ouvrières
Le Grand Écho du Nord et du Pas-de-Calais – 14 août 1906 (© BNF Gallica)
En notre République il n’est plus guère qu’une royauté qui soit admissible, celle d’une jolie femme.
Melle Madeleine Lang, qui était l’élue du jour a reçu dimanche après-midi, autant de compliments qu’en recevait une reine d’Espagne ou de Hollande.
Ceci fait honneur à nos concitoyennes et concitoyens qui possèdent – nous avons été heureux de le constater – le sens de l’esthétique
La promenade de la reine des ouvrières, dans Fives et Saint-Maurice a été triomphale.
Un grand nombre d’habitants des deux quartiers avaient pavoisé leurs fenêtres. De cent mètres en cent mètres des arcs de triomphes fleuris d’une belle ordonnance architecturale avaient été dressés, donnant à la perspective des rues de Fives .et de Saint-Maurice de la gaieté et de l’imprévu.
Le cortège se mit en route vers deux heures, boulevard de l’Usine. Il parcourut, au milieu d’une foule compacte, animée et sympathique, l’itinéraire suivant :
Rues Saint-Louis; Broca, du Commerce, du Long-Pot, Chemin des Huiles, rue Aristote, boulevard de l’Usine, rues du Long-Pot, des Processions, d’Aguesseoau, Bourjembois, de Malsence, des Processions, de Philadelphie, Gosselin, Delannoy, Mirabeau, Pierre-Legrand, Guillaume-Werniers, du Prieuré, Pierre-Legrand, de Bouvines, du Pont-du-Lion-d’Or, du Faubourg-de-Roubaix, du Chevalier-Français, Dieu de Marcq, Louvière, Faubourg-de-Roubaix, des Guinguettes, des Jardins-Caulier, Blanche, Saint-Gabriel, avenue des Lilas, rue Allard-Dugaucquier, Lafayette, des Guinguettes, de l’Alma, des Dondaines, des Girondins, du Chemin de Fer, Rabelais, des Guinguettes, place des Guinguettes, place Madeleine-Caulier.
La marche du cortège
Le ciel, chargé de gros nuages avait fait craindre, un moment, vers 3 heures, que le cortège ne fut arrosé. De grosses gouttes tombèrent qui firent se réfugier les curieux dans les estaminets et sous les portes.
Les jeunes filles étaient navrées.
– C’eût été vraiment malheureux de « tremper » une robe que l’on inaugure ! Et de pester contre le climat de Lille ;
L’dimanche c’est toujours comme çà. On devrait plutôt faire les fêtes en semaine !« Celui qui sonde les cœurs et les rems » » fut-il ému de ces lamentations ? Il faut le croire puisqu’il fit s’entrouvrir tout à coup les nuages et paraître un soleil victorieux.
Le cortège passait rue de Bouvines pour se rendre rue du Pont-du-Lion-d’Or.
Par un effet presque miraculeux, tous les figurants qui jusqu’alors estimaient la température un peu fraîche éprouvèrent le besoin de se rafraîchir le gosier. On fit, en conséquence une longue halte dans les estaminets.
Il nous fut donné en ce moment d’examiner tout à notre aise, les chars, les groupes et les jeunes filles composant le cortège. Le porte étendard du comité des fêtes revêtu d’un costume Henri IV, conserva. une attitude digne, soucieux de se montrer à la hauteur de ses fonctions. Tous les artistes potiers, dans le char de faïencerie continuèrent leur travail, d’un air convaincu ; les deux inséparables géants Lydéric et Phinaert, à qui, par exception, étaient réservés des chars, restèrent drapés dans leur dignité séculaire ; la déesse de la peinture prit soin de ne pas détruire l’harmonie des lignes de son péplum ; le roi Dagobert s’efforça de rester majestueux et débonnaire, et la reine des ouvrières, tout au haut de son char, sous un joli dais doré de brocart pourpre frangé d’or, resta impassible sous les acclamations.
Par contre, une gaieté bien flamande régnait sur les chars de l’agriculture, du bœuf gras, de Gambrinus, du cabaret du Tourne-Bride.
Gambrinus prenait son rôle au sérieux, aussi avalait-il, en compagnie de quatre joyeux buveurs, force canettes. L’on lampait ferme aussi sur le char du cabaret du Tourne-Bride où rayonnait une très accorte soubrette.
Par contre les hommes qui gardaient le piédestal de Madeleine Caulier, restaient de bronze et les jeunes filles qui acclamaient les Bienfaits de la République continuaient à clamer la supériorité du régime populaire.
Tous ont fait preuve d’une remarquable énergie en ne quittant jamais la position qu’on leur avait prescrit de garder.
Très énergiques et particulièrement courageux aussi les musiciens des sapeurs-pompiers, des Accordéonistes Lillois, de la fanfare des Trompettes des Anciens artilleurs, de l’harmonie des ouvriers en automobile de Fives-Lille, de l’harmonie des Agents du chemin de fer du Nord, de la fanfare de Fives, qui durant le parcours du cortège, n’ont pas cessé de se faire entendre.
Le couronnement de la Muse
Vers 6 h. la foule envahit la place Madeleine Caulier où l’arrivée du cortège était annoncée.
Une brigade d’agents dut dégager, non sans peine, le terre-plein de la place, pour permettre aux chars qui débouchaient de la rue des Guinguettes, d’évoluer et de prendre place pour la cérémonie du couronnement.
Les chars, en deux files, Lydéric et Phinaert en tête, formèrent une garde d’honneur au char de la reine qui, au centre de la place, devint le point attractif de tous les regards. On voulait voir de près la reine, et la police avait fort affaire. Elle dut, à plusieurs reprises, dégager le char et, notamment, lorsqu’arrivèrent les représentants de la municipalité, MM. Brackers d’Hugo et Duburcq, adjoints ; Agneray, Binauld, Rémy, Leleu, conseillers municipaux.
Il fut alors possible à M. Facq, président de la société « Les Fils des Trouvères », de déclamer un poème en l’honneur de Mlle Lang, et à la Lyrique de St-Maurice-Lille, au Club orphéonique de Fives-Lille, à la Musique Municipale de Croix, à la Fanfare de Fives-Lille d’exécuter la cantate à Madeleine Caulier, de MM. Facq et Gadenne.
Après quoi, M. Brackers d’Hugo adressa des vifs remerciements à la reine et à ses demoiselles d’honneur qui, dit-il, ont assumé une tâche lourde. Il remit à Mlle Lang, au nom de la municipalité, une garniture de cheminée.
M. Agneray, au nom du Comité des fêtes, remercia tous les organisateurs du cortège et tous les figurants.
Il offrit à Mlle Lang, ainsi qu’à ses compagnes, une très jolie montre en or, et deux bronzes d’art à MM. Facq et Gadenne.
Les divers groupes du cortège ont ensuite offert à la reine, un superbe bouquet. Mlle Lang, qui durant la cérémonie du couronnement était restée sous son dais, disparaissait sous les fleurs.
Après la fête… la fin d’un règne
Nous avons revu la reine des ouvrières et ses demoiselles d’honneur, à l’estaminet Vincent, rue Pierre-Legrand. Les jeunes filles, choquaient des coupes de champagne en compagnie de leurs parents et des membres du comité.
Mlle Lang, de qui nous voudrions recueillir les impressions, nous répond :
– Je n’étais guère émue lorsque me parvenaient aux oreilles, les éloges flatteurs qu’on faisait de ma personne. J’allais comme dans un rêve, ne sachant pas bien pourquoi, ni comment je me trouvais tout en haut d’un char, sous un dais somptueux.
Vous me demandez des impressions, monsieur, je n’en ai pas ressenti. On m’a demandé d’être reine, j’ai accepté sans enthousiasme comme sans regret. Il me restera demain peut-être, qu’un souvenir déjà un peu vague, de ma royauté éphémère.
M.Lang. qui écoute sa fille, nous dit :
– C’est une bonne petite savez. J’étais heureux pour elle, car elle le mérite, c’est une travailleuse.
Cependant nous ne pouvons poursuivre plus longtemps l’entretien. La reine et ses demoiselles d’honneur, souffrent d’un violent mal de tête, provoquée par les cahots du char. Elles expriment le désir de prendre du repos. Elles n’iront pas au bal comme elles se l’étaient proposées.
Dans la rue Pierre-Legrand, la foule amassée, acclame longuement à leur départ, la jeune et jolie souveraine et ses gracieuses compagnes.
Il est huit heures et demie. « Si j’étais reine », va penser en s’endormant Mlle Lang, qui fera sans doute des songes bleus.