Les Fêtes du Vieux-Lille
Le Grand Echo du Nord et du Pas-de-Calais- 16 juillet 1903 (© BNF Gallica)
Le mariage de Lydéric
Ce sera peut-être le clou de la troisième journée des fêtes du Vieux-Lille, ce mariage du populaire géant lillois.
Pour banal, non, le spectacle n’était pas banal.
Au contraire, marier Lydéric, ça équivalait à transformer la légende et à replacer cette physionomie préhistorique du géant dans l’actualité pleine et dans le « modernisme », comme disent nos néologistes.
Donc, à 14 heures, place de la·Halles-aux-Sucres, il y avait foule. Les trottoirs des rues avoisinantes et les quais de la Deûle étaient garnis d’une foule compacte. Le Pont-Neuf était un point d’observation admirable ; aussi les curieux s’y entassaient-ils à faire craquer rampes et parapets.
Le cortège
Vers 9 h. 1/4 des voitures nombreuses se dirigent vers l’Hospice-Général. En effet, une centaine de vieux et de vielles, très ragaillardis pour la circonstance, sont au cortège et prennent part à la noce. Ils ouvrent le défilé dans cet ordre, six voitures avec deux couples portant des bouquets, des fleurs d’orangers, puis l’Alliance musicale d’Esquermes qui joue des airs entrainants.
Huit autres voitures avec d’autres couples suivent de près. La Fanfare de Wazemmes sépare ceux-ci de la troisième partie du cortège, qui ne comprend pas moins de quinze voitures ou landaus.
Des agents suivent pour maintenir la foule enthousiaste qui crie : « Au mariage ! ».
Devant l’estaminet Demessine, rue de la Halle, attend, l’huissier sur le siège côté du cocher, le landau officiel de la municipalité Quatre de nos édiles, qui ont été se rafraichir sans façon chez le cabaretier du coin, s’installent dans la voiture, qui part aussitôt.
Le cortège se dirige rue du Béguinage, où un entrepôt a donné l’hospitalité à Lydéric et à sa fiancée.
Le char est prêt dans la rue. Inénarrables, les futurs époux sont installés.
Lydéric a quitté armure et robe-rouille ; Lydéric n’est plus le paladin du temps de Clotaire. Il porte un habit, un immaculé plastron et un haut-de-forme. N’était sa stature monumentale, après cette métamorphose. on jurerait que ce n’est pas notre Lydéric du temps passé.
Sa main gauche gantée de blanc a l’index en avant ; sa main droite … il a dû la perdre à la bataille ; comme ses jambes d’ailleurs. Figurez-vous que Lydéric est presque cul-de-jatte.
Émotionné sans doute, il est bien pale sous sa tignasse rousse. Il a l’air de se reculer instinctivement de sa fiancée.
Sa fiancée ? « Une femme inconnue » dont nul ne sait le nom, est singulièrement corpulente. Son voile d’épousée flotte au vent. Des fleurs d’orangers lui forment une couronne et mettent à son corsage de satin blanc une virginité de bon aloi.
Alentour d’eux, sur la voiture triomphale trainée par quatre chevaux superbes, des arbustes ont une floraison blanche remarquable.
« Mariage ! Mariage ! »
Et le cortège se remet en marche, précédé et suivi d’enfants, d’hommes, de femmes. Et il parcourt ainsi tout le Vieux-Lille joyeux pour se rendre à l’Hôtel-de-Ville, où est célébré le conjungo fictif.
A la Mairie
Le Mariage de Lydéric et de sa fiancée Lily Coucke avait attiré devant la Mairie une foule innombrable qui emplissait-la place Rihour, la rue Jean-Roisin et la rue de la Vieille-Comédie .
A toutes les fenêtres paraissaient des grappes de têtes : l’animation était grande. Le mariage était annoncé pour midi mais dès 11 heures il était déjà impossible de circuler devant la Mairie, tant le monde affluait pour voir ce spectacle nouveau.
A la porte de la salle des mariages se tenait M. Delory, maire de Lille, entouré du Conseil municipal. Il attendait le cortège qui devait déboucher de la rue Jean-Roisin et jetait un regard satisfait sur la foule qui allait sans cesse grossissant.
Midi un quart sonna, les géants n’arrivaient pas ; la foule, houleuse, s’impatientait ; de temps en temps, pour faire diversion, quelques loustics entonnaient le : « Viens poupoule ! » Mais bientôt une clameur s’éleva, tous se dressèrent sur la pointe des pieds, avides de voir, de contempler les gigantesques silhouettes de Lydéric et de sa compagne, qui s’avançaient assis côte à côte sur leur char.
L’enthousiasme était à son comble, en applaudissait ferme.
On faisait fête aussi aux bons vieillards de l’hospice, qui, heureux de se balader en voiture, souriaient à la fouie.
Les bons vieux descendaient de voiture et, bras dessus bras dessous, allaient saluer la municipalité.
Les géants stationnaient sur la place, attendant ]a célébration de leur mariage, tandis que leurs témoins, MM. Boucbery, Bour, Clément et Guermonprez, entraient dans la salle des mariages et exposaient à M. Samson, maitre des cérémonies, l’objet de leur visite.
M. Delory prit la parole à ce moment et exprima sa satisfaction à M. Guermonprez, pour le soin qu’il a apporté à l’organisation de la fête. M. Samson fit ensuite en patois de Lille un petit historique de la légende de Lydéric et de Lily Coucke, « trouvée dans un panier à couckes » qui mit l’assistance en gaieté.
M. Delory leva ensuite son verre en l’honneur des nouveaux mariés, et la fête se termina au milieu d’un déambulement de voitures, de musiques et de fanfares, toute l’escorte des géants qui, passant sur la Grande-Place, jetaient dans l’air leurs notes aiguës pour célébrer leur triomphe.